Notes et rapports

Comprendre les sorties précoces de l’université à partir de la littérature scientifique : variables explicatives et enjeux conceptuels – Rapport de recherche de l'Open Lab In'Pact

Pourquoi certains étudiants abandonnent-ils l’université dès la première année ? En explorant quinze ans de recherches sur les sorties précoces en licence, ce rapport de recherche de l’Open Lab In’Pact décrypte les facteurs clés du décrochage, depuis les inégalités sociales et scolaires jusqu’aux faiblesses institutionnelles. Il propose également de repenser le décrochage, en dépassant la vision alarmiste pour intégrer la diversité des parcours étudiants. Une synthèse essentielle pour comprendre les enjeux de réussite dans l’enseignement supérieur et repenser la définition même de réussite ou d’échec.

Introduction

En France, les taux jugés élevés d’échec en première année de licence (L1) préoccupent. En effet, « plus d’un quart des étudiants entrant en licence rompent avec leurs études sans obtenir le moindre diplôme de l’enseignement supérieur dans les 7 années qui suivent la première inscription » (Hugrée & Poullaouec, 2022, p. 27). Les sorties de l’enseignement supérieur avant l’obtention du diplôme visé, qui incluent les abandons et les réorientations, sont appréhendées à partir de différentes notions, comme celles de « décrochage », de « rupture universitaire » (Hugrée & Poullaouec, 2022) et d’« interruption » (Fortin et al., 2019). Les préoccupations pour ce phénomène ont conduit au développement, depuis plusieurs années, d’un ensemble d’initiatives visant à lutter contre l’échec à l’université, en particulier en L1. Parmi ces initiatives, il est possible de citer le Plan pour la réussite en licence (PRL) mis en place en 2007, le programme national d’expérimentation en faveur des jeunes lancé en 2009 par le Fonds d’expérimentation de la jeunesse (FEJ), les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche initiées en 2012, le Plan étudiant en 2017, ou encore la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) en 2018… Des dispositifs d’aide aux étudiants en difficulté scolaire se sont également généralisés à partir des années 2010 dans cet objectif (Hugrée & Poullaouec, 2022).

Plusieurs enquêtes empiriques se sont intéressées aux sorties précoces de l’enseignement supérieur. L’objectif de cette note de synthèse est de présenter un panorama des principaux constats issus de ces études, afin de mieux comprendre les enjeux relatifs à l’abandon en L1 et la manière dont ils sont appréhendés dans la littérature scientifique. La synthèse est construite à partir d’une recherche documentaire non exhaustive. Les articles retenus ont été publiés entre 2007 et 2022, et portent sur le contexte français.

La première partie de la synthèse s’attachera à présenter les résultats relatifs aux variables explicatives de l’abandon en L1. En fonction de la manière dont le phénomène est appréhendé, ces résultats renvoient d’une part aux caractéristiques des étudiants, et d’autre part aux caractéristiques de l’institution universitaire. La deuxième partie portera sur les résultats des études invitant à remettre en question et à nuancer le phénomène qualifié de « décrochage » ou d’« échec » universitaire, qui se positionnent souvent en porte-à-faux avec la vision alarmiste qui domine dans le débat politique.

I. Les caractéristiques individuelles et les caractéristiques de l’institution universitaire comme variables explicatives de l’abandon en première année de licence

Deux grandes tendances se dessinent parmi les études s’attachant à identifier les variables explicatives de l’abandon au cours du premier cycle universitaire, en particulier au cours de la première année. Ces études expliquent tantôt ce phénomène à partir des caractéristiques des étudiants, principalement leurs caractéristiques sociodémographiques et leur passé scolaire, tantôt à partir de celles de l’institution universitaire.

1. Expliquer l’abandon en L1 à partir des caractéristiques des étudiants

1.1. Les caractéristiques sociodémographiques

Certaines études soulignent la faible influence de l’origine sociale sur les risques de sortie précoce de l’université (Beaupère & Collet, 2022 ; Filhon, 2010). D’autres montrent toutefois qu’une origine sociale favorisée protège contre ce phénomène et qu’une origine sociale défavorisée accentue les risques de sortie précoce de l’université (Gury, 2007 ; Perret & Henry, 2018 ; Zaffran & Aigle, 2020). Les pistes d’explication identifiées concernent notamment la pression familiale à persévérer dans l’obtention du diplôme pour les étudiants issus de milieux favorisés, et le fait que les étudiants issus de milieux plus modestes considèrent souvent avoir moins à perdre si leurs études ne mènent pas à l’obtention du diplôme, ce qui les conduit à reconsidérer plus rapidement leur poursuite d’études (Gury, 2007).

Certaines recherches soulignent également l’influence de la nationalité, puisqu’un étudiant de nationalité française a de plus faibles risques de quitter l’université de manière précoce qu’un étudiant de nationalité étrangère (Zaffran & Aigle, 2020) ; et du genre (Gury, 2007 ; Ménard, 2018 ; Perret & Henry, 2018), puisque les hommes ont plus de risques de quitter l’université avant l’obtention de leur diplôme. Cependant, les femmes sont plus nombreuses à décrocher en début de licence que les hommes (Gury, 2007 ; Ménard, 2018).

Le fait d’occuper un emploi pendant ses études est généralement associé à des risques plus importants de sortie précoce de l’université (Beaupère & Collet, 2022 ; Filhon, 2010 ; Hugrée & Poullaouec, 2022 ; Sorho-Body Kady, 2018). L’étude de Gury (2007) nuance toutefois ce constat en soulignant qu’un emploi régulier pendant les études peut être associé à une augmentation des chances d’accès au diplôme, mais l’analyse ne permet pas d’identifier de variable pouvant expliquer ce résultat a priori contradictoire. La décision d’occuper un emploi rémunéré au cours de ses études est elle-même influencée par les caractéristiques sociales et scolaires des étudiants, ainsi que par certaines caractéristiques subjectives, comme leur vision de l’avenir ou des problèmes personnels non nécessairement financiers (Sorho-Body Kady, 2018). Elle varie également selon les filières disciplinaires, qui agissent comme « des matrices de socialisation qui empêchent pour les unes, tolèrent ou encouragent pour les autres, le travail étudiant “à côté” » (Hugrée & Poullaouec, 2022, p. 111).

1.2. Le passé scolaire

En plus des caractéristiques sociodémographiques, les caractéristiques scolaires des étudiants sont fréquemment identifiées comme des variables susceptibles d’influencer les risques de sortie précoce de l’université. C’est notamment le cas du type de baccalauréat, puisque les personnes qui détiennent un baccalauréat général sont moins susceptibles de quitter l’université de manière précoce que celles qui détiennent un baccalauréat professionnel ou technologique (Beaupère & Boudesseul, 2009 ; Filhon, 2010 ; Gury, 2007 ; Ménard, 2018 ; Zaffran & Aigle, 2020). Les pistes d’explication présentées dans ces études concernent les difficultés pédagogiques que les bacheliers professionnels et technologiques rencontrent en raison de lacunes scolaires, ainsi que leur réticence à solliciter de l’aide et à participer aux séances de tutorat (Beaupère & Boudesseul, 2009). Comme pour l’origine sociale, Gury (2007) mentionne également le fait que les titulaires d’un baccalauréat professionnel ou technologique considèrent souvent avoir moins à perdre si leurs études ne conduisent pas à l’obtention du diplôme, et peuvent donc estimer que se rediriger vers le marché de l’emploi est plus avantageux en cas d’expérimentation difficile de l’université. Toutefois, il est à noter que, si les bacheliers professionnels sont nombreux à poursuivre des études supérieures, seuls 14 % d’entre eux s’inscrivent à l’université (Hugrée & Poullaouec, 2022).

La mention obtenue au baccalauréat (Hugrée & Poullaouec, 2022 ; Ménard, 2018) et les redoublements au cours du secondaire (Gury, 2007 ; Hugrée & Poullaouec, 2022 ; Zaffran & Aigle, 2020) sont également identifiés comme des facteurs influençant les risques de sortie précoce de l’université. Cependant, l’étude de Filhon (2010) conduit à nuancer l’influence des redoublements au cours du secondaire, en montrant que ce facteur n’est significatif que pour les étudiants qui n’envisagent pas de poursuivre leurs études jusqu’à l’obtention de la licence.

D’une manière générale, les acquis scolaires de l’enseignement primaire jusqu’au baccalauréat se révèlent la variable la plus explicative parmi les caractéristiques personnelles, dans la mesure où elles influencent de manière significative les probabilités d’interruptions universitaires. En effet, une bonne partie des jeunes concernés avaient déjà des difficultés scolaires à l’entrée en sixième (Hugrée & Poullaouec, 2022).

1.3. Les autres variables individuelles

D’autres variables semblent également influencer les risques de sortie précoce de l’université. C’est notamment le cas de la correspondance entre les enseignements suivis et les goûts de l’étudiant (Filhon, 2010). En effet, les étudiants ont trois fois plus de chances d’envisager de poursuivre leurs études jusqu’au bac + 3 lorsque les enseignements qu’ils suivent leur plaisent.

À l’inverse, le fait d’avoir un projet professionnel précis ne semble pas protéger contre les risques de sortie précoce de l’université et peut même, au contraire, favoriser la décision d’interrompre le parcours avant la fin de la licence pour se réorienter (Filhon, 2010).

Enfin, les ressources dont disposent l’étudiant sont l’un des facteurs susceptibles d’influencer les risques qu’une période de doutes, qualifiée de « décrochage intermédiaire » par David et Melnik-Olive (2014, p. 91), devienne irréversible. Ces ressources sont notamment le soutien familial, le fait d’être boursier, la proximité physique avec le lieu d’études et le projet professionnel ou de formation alternative (David & Melnik-Olive, 2014).

2. Expliquer l’abandon en L1 à partir des caractéristiques de l’institution universitaire

2.1. La fonction de régulation de l’université

Au-delà des caractéristiques individuelles, plusieurs études mettent en lumière le rôle joué par l’institution universitaire dans le « décrochage » et soulignent ainsi sa nature structurelle. Cette perspective conduit notamment à mettre en lien ce phénomène avec celui de la massification de l’université, qui a touché de manière hétérogène les différentes filières de l’enseignement supérieur, impliquant que « [l]es différents contextes d’études constituent […] un ensemble de contraintes spécifiques à prendre en compte dans l’analyse des rapports des étudiants à leurs études, de leurs difficultés spécifiques et dans la compréhension des pratiques différentielles de réorientation, de reconversion, de sortie ou d’abandon universitaires » (Millet, 2012, p. 76).

Dans un contexte de massification de l’université, caractérisé par une augmentation du nombre d’étudiants et une diversification de leurs profils, l’institution universitaire s’est dotée, selon plusieurs études, d’une fonction de régulation (Bodin & Millet, 2011 ; Manifet, 2016 ; Sarfati, 2013). Celle-ci s’opère à travers le contrôle des flux d’entrée et l’évaluation des étudiants (Manifet, 2016). Manifet (2016) montre que cette régulation est liée au contexte concurrentiel entre les établissements au niveau national et international, ainsi qu’aux critères d’efficacité, d’efficience et de rentabilité à partir desquels les résultats des universités sont évalués.

Bodin et Millet (2011) identifient quant à eux un processus de réorientation et de redistribution des étudiants au sein de l’enseignement supérieur, opéré par l’institution universitaire. En plus d’aboutir à des taux élevés d’abandon, ce processus contribue selon ces auteurs au maintien et à la reproduction des hiérarchies sociales et des inégalités dans l’enseignement supérieur. En effet, les dispositions et les ressources des étudiants, liées à leur position dans l’espace social, sont plus ou moins en cohérence avec la position des disciplines dans l’espace des positions scolaires et leurs logiques cognitives (Bodin & Millet, 2011).

2.2. Les faiblesses institutionnelles

L’université est caractérisée par un faible encadrement en raison de la pédagogie de masse (réplique de la seconde explosion universitaire en 2000), de l’injonction immédiate à l’auto-organisation et des services administratifs perçus comme éloignés des préoccupations des étudiants de L1 (David & Melnik-Olive, 2014). Ces caractéristiques de l’université sont en partie liées au contexte de réduction des financements publics : Hugrée & Poullaouec (2022) parlent d’« hiver budgétaire » pour qualifier les moyens alloués aux universités, en baisse entre 2008 et 2021. Ces faiblesses institutionnelles nuisent au processus d’affiliation, ce qui est identifié comme un facteur favorisant la sortie des études (David & Melnik-Olive, 2014).

2.3. Les caractéristiques des filières disciplinaires

Les caractéristiques de chaque filière sont également susceptibles d’influencer les probabilités de « décrochage ». En effet, s’il n’existe pas de différences significatives entre toutes les filières (Filhon, 2010 ; Gury, 2007), des écarts importants des taux d’abandon ont été constatés entre certaines d’entre elles (Gury, 2007).

Chaque filière est caractérisée par des règles pédagogiques et d’évaluation spécifiques, et par une légitimité institutionnelle plus ou moins importante en fonction, notamment, de la sévérité de la sélection et des débouchés professionnels qu’elle offre (Millet, 2012). Ces propriétés contextuelles déterminent, d’une part, si les étudiants peuvent se projeter à long terme (ou s’ils doivent au contraire envisager une réorientation ou une interruption d’études, par exemple) et, d’autre part, les difficultés liées à la rupture sur le plan cognitif entre le lycée et l’université (Beaupère & Collet, 2022 ; Millet, 2012).

En effet, si tous les nouveaux étudiants sont susceptibles d’être confrontés à des difficultés d’affiliation en raison de l’écart entre le lycée et l’université, expliquant notamment que de bons élèves du secondaire puissent être en difficulté sur le plan pédagogique à l’université (Beaupère & Boudesseul, 2009), ces difficultés peuvent varier d’une filière à l’autre selon leurs caractéristiques. À travers une comparaison entre les étudiants en licence de médecine et les étudiants en licence de sociologie dans des universités lyonnaises, Millet (2012) a ainsi mis en lumière les difficultés particulières rencontrées par le second groupe, qui bénéficie d’un plus faible accompagnement dans les apprentissages et les méthodes de travail que le premier, et d’une moindre explicitation des attentes des enseignants.

Il est à noter que les caractéristiques des étudiants et celles de l’institution universitaire ou des filières sont parfois en interaction et influencent de manière conjointe les probabilités de sortie précoce de l’université. Par exemple, le processus d’affiliation peut être plus ou moins facilité en fonction du passé scolaires des étudiants ou de leurs dispositions sociales, qui sont plus ou moins cohérentes avec les logiques cognitives attendues par chaque filière (Bodin & Millet, 2011).

II. Une remise en question des notions de « décrochage » et d’« échec » à travers l’analyse des parcours étudiants

Au-delà de l’identification des facteurs pouvant expliquer les sorties précoces de l’université, les résultats des études recensées conduisent, pour plusieurs d’entre elles, à nuancer le phénomène d’abandon en L1 et à remettre en question les notions mêmes d’« échec » et de « décrochage ».

1. L’inscription à l’université n’est pas toujours motivée par l’obtention du diplôme

Bien que certains étudiants présentent des motivations en cohérence avec le rôle affiché de l’université, soit l’apprentissage académique et la diplomation (Beaupère & Boudesseul, 2009), plusieurs études s’accordent à dire que l’inscription à l’université n’est pas toujours motivée par l’obtention du diplôme (Beaupère & Boudesseul, 2009 ; Beaupère & Collet, 2022 ; David & Melnik-Olive, 2014 ; Filhon, 2010 ; Sarfati, 2013). Ce constat conduit à remettre en question le critère unique de l’obtention du diplôme pour qualifier les situations de « décrochage ».

Premièrement, en raison du caractère non-sélectif de plusieurs filières, l’université est fréquemment identifiée comme un « choix passif » (Beaupère & Boudesseul, 2009) ou « par défaut », lorsque les étudiants ont été refusés dans la formation correspondant à leur premier choix d’orientation (Beaupère & Boudesseul, 2009 ; Beaupère & Collet, 2022 ; David & Melnik-Olive, 2014 ; Filhon, 2010 ; Gury, 2007 ; Ménard, 2018 ; Sarfati, 2013). En plus d’être un facteur pouvant favoriser les probabilités de réorientation ou de sortie sans diplôme (Beaupère & Collet, 2022 ; Filhon, 2010 ; Gury, 2007 ; Ménard, 2018), cela permet de comprendre que l’inscription à l’université n’est pas toujours motivée par l’obtention du diplôme délivré à l’issue de la filière suivie.

Deuxièmement, les résultats de plusieurs études rendent compte d’« usages détournés » de l’université (David & Melnik-Olive, 2014), ou de « comportements tactiques » vis-à-vis de cette dernière (Sarfati, 2013). Ainsi, certains étudiants s’inscrivent à l’université non pas pour obtenir le diplôme délivré par la formation suivie, mais pour se donner le temps d’affiner un projet de formation ou de diplôme (Beaupère & Boudesseul, 2009 ; Beaupère & Collet, 2022), ou dans l’objectif de préparer un concours (Beaupère & Collet, 2022 ; Bodin & Millet, 2011 ; David & Melnik-Olive, 2014 ; Sarfati, 2013). D’autres s’y inscrivent pour expérimenter leurs chances de réussite (Beaupère & Collet, 2022), ou pour acquérir une culture générale (David & Melnik-Olive, 2014 ; Filhon, 2010). D’autres encore espèrent profiter du faible encadrement caractéristique de l’université pour s’investir dans d’autres activités participant à leur nouveau statut d’étudiant (Beaupère & Boudesseul, 2009), ou attendent de l’université qu’elle leur fournisse un cadre permettant la progression vers le passage au statut de jeune adulte (David & Melnik-Olive, 2014).

2. Les sorties précoces de l’université ne sont pas toutes assimilables à des échecs

La notion de « décrochage » est également remise en question dans la mesure où elle regroupe des réalités très hétérogènes. Certaines sorties précoces de l’université sont liées à des difficultés sociales, pédagogiques ou d’affiliation, et sont en ce sens subies (Beaupère & Boudesseul, 2009 ; David & Melnik-Olive, 2014). Toutefois, certaines logiques conduisant à l’arrêt précoce des études universitaires ne peuvent pas nécessairement être associées à des situations d’échec, puisqu’elles sont « justifiées “positivement” » par les jeunes concernés (Beaupère & Boudesseul, 2009, p. 4).

Ainsi, la sortie de l’université peut être associée à une progression du projet professionnel ou de formation (Beaupère & Collet, 2022 ; David & Melnik-Olive, 2014 ; Hugrée & Poullaouec, 2022 ; Perret & Henry, 2018 ; Zaffran & Aigle, 2020), conduisant par exemple les jeunes à se réorienter vers une formation correspondant davantage à leurs attentes (Beaupère & Boudesseul, 2009 ; Bodin & Millet, 2011 ; Filhon, 2010 ; Millet, 2012 ; Sarfati, 2013), ou à quitter l’université pour se concentrer sur la préparation d’un concours (Bodin & Millet, 2011 ; Millet, 2012). Les sorties précoces de l’université n’excluent donc pas l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur à la suite d’une réorientation (Hugrée & Poullaouec, 2022 ; Perret & Henry, 2018 ; Sarfati, 2013), et une réorientation peut relever d’une décision stratégique visant à accroître les chances d’obtenir un diplôme (Ménard, 2018).

D’autres sorties de l’université sont motivées par la volonté de s’insérer professionnellement, voire par une opportunité d’emploi (Beaupère & Boudesseul, 2009 ; Bodin & Millet, 2011 ; Gury, 2007 ; Millet, 2012) – qui s’effectue toutefois souvent au prix d’un déclassement (Beaupère & Boudesseul, 2009). Ces résultats permettent de nuancer le constat alarmiste concernant les taux élevés d’abandons en L1, puisque ces taux sont beaucoup plus faibles dès lors que l’on tient compte d’autres critères que le taux de diplôme des étudiants validant leur cycle d’étude sans avoir redoublé (Michaut, 2012 ; Zaffran & Aigle, 2020).

3. Les sorties précoces de l’université ne concernent pas uniquement le début du premier cycle universitaire

L’analyse des parcours étudiants permet également de remettre en question la compréhension du « décrochage » comme un phénomène se limitant au début du premier cycle universitaire, en soulignant sa nature temporelle, processuelle et réversible (Beaupère & Boudesseul, 2009 ; David & Melnik-Olive, 2014 ; Zaffran & Aigle, 2020). Ainsi, des études montrent que les sorties universitaires peuvent intervenir au cours du deuxième cycle et concerner des étudiants ayant passé plusieurs années dans l’enseignement supérieur (Zaffran & Aigle, 2020). D’autres montrent également qu’il existe des « décrochages intermédiaires » susceptibles de ne pas devenir permanents (David & Melnik-Olive, 2014, p. 91) et que la décision de quitter l’université « relève […] plus souvent d’un processus et d’un délitement progressif des liens créés dans l’établissement que d’une décision soudaine » (Beaupère & Boudesseul, 2009, p. 3).

Conclusion

Les principaux constats issus des études retenues pour cette note de synthèse apportent un éclairage intéressant sur l’interruption précoce des études et conduisent à repenser ce phénomène et les notions mobilisées pour le décrire. L’identification des variables susceptibles d’influencer les probabilités d’abandon en L1 permet tout d’abord d’en souligner la nature multifactorielle et de rappeler que l’enseignement supérieur est traversé par de fortes inégalités sociales et scolaires. Plus particulièrement, les études ayant souligné le rôle de l’institution universitaire permettent de dépasser une lecture individualisante du phénomène, qui contribue à responsabiliser les jeunes, en démontrant au contraire sa nature structurelle. Par ailleurs, en soulignant les limites de la notion de « décrochage », les études présentées dans cette synthèse conduisent à repenser la manière dont sont conçus la réussite et l’échec étudiants. Elles font ainsi apparaître les limites de l’acception académique de ces derniers, associée en France à une conception rectiligne du cheminement académique, de l’entrée dans l’enseignement supérieur jusqu’à l’obtention du diplôme (Barry, 2023).

Éléments saillants pour NewDEAL

1. La variable la plus souvent citée pour comprendre les risques d’échec en licence depuis les caractéristiques socio-scolaires des étudiants est celle du niveau scolaire collège-lycée (en comparaison d’autres variables souvent citées comme la catégorie sociale, le type de baccalauréat ou la motivation, la présence d’un projet d’étude ou professionnel). Cela nous indique la pertinence de proposer aux étudiants de licence des modules ou UE propédeutiques ou de mise à niveau disciplinaire en plus des UE déjà proposées de méthodologie du travail universitaire. Dans le réseau NCU, certaines actions sont réalisées en ce sens et nous pourrions profiter du réseau pour partager outils et dispositifs. Nous pensons par exemple à la formation aux compétences linguistiques (orthographe, grammaire, syntaxe) accessible en ligne au niveau national (https://ecriplus.fr/) et qui pourrait être diffusée auprès des EPM. Nous pensons aussi aux UE de rythmes différenciés, aux pratiques de tutorat ou de mentorat…

2. La pluralité des réussites confirme les intuitions NewDEAL qui formulait déjà en 2018 que la réussite ne peut se mesurer à l’aune de la seule réussite au diplôme. L’université est aussi le lieu où, pour certains étudiants, d’autres intentionnalités sont à l’œuvre : prendre le temps de préparer un projet professionnel ou de formation, acquérir une culture générale, se développer personnellement dans le sens d’une plus grande autonomie, préparer un concours, etc. Les indicateurs standards de mesure du décrochage sont à prendre avec des pincettes tant ils ne permettent pas de viser précisément l’ensemble des parcours et expériences étudiantes (réorientations, mobilité géographique, césure, obtention d’un concours, etc.). Nous pourrions profiter de ces constats pour affiner l’enquête institutionnelle réalisée par le pôle PAS en proposant des items qui précisent les indicateurs mesurés. En outre, cela montre l’intérêt de valoriser les acquis et compétences infra-licence.

3. Plusieurs auteurs montrent que le décrochage est majoritairement de nature processuelle. Il se réalise le plus souvent graduellement (et ce même en master), avec des étapes parfois plus critiques (« décrochages intermédiaires »). Focaliser son attention et son énergie sur la seule première année d’études pour lutter contre le décrochage paraît peu opératoire. Il nous semblerait intéressant de se tourner vers les directions d’étude (dont le rôle reste encore flou [voir prochain rapport Open Lab]) pour établir une fiche de missions prenant en compte (entre autres) ces aspects.

Références

  • Barry, A. (2023). La réussite étudiante : de quoi parle-t-on ?, Webinaire de recherche du réseau de projets NCU, Université de Bordeaux, 12 décembre 2023.
  • Beaupère, N., & Boudesseul, G. (2009). Quitter l’université sans diplôme : quatre figures du décrochage étudiant. Céreq, 265, 1-4.
  • Beaupère, N., & Collet, X. (2022). La première année dans le supérieur à l’épreuve des choix : analyse des déterminants des souhaits de réorientation à l’heure de Parcoursup. L’orientation scolaire et professionnelle, 51(1), 109-135.
  • Bodin, R., & Millet, M. (2011). L’université, un espace de régulation : l’« abandon » dans les 1ers cycles à l’aune de la socialisation universitaire. Sociologie, 2(3), 225-242.
  • David, S., & Melnik-Olive, E. (2014). Le décrochage à l’université, un processus d’ajustement progressif ? Formation emploi, 128, 81-100.
  • Filhon, A. (2010). La première année en filière administration économique et sociale : motivations, abandons et attentes des étudiants. Formation emploi, 111, 19-33.
  • Fortin, B., Joanis, M., & Ragued, S. (2019). Interruption des études secondaires et postsecondaires au Canada : une analyse dynamique, CIRANO Project Reports 2019r, CIRANO.
  • Gury, N. (2007). Les sortants sans diplôme de l’enseignement supérieur : temporalités de l’abandon et profils des décrocheurs. L’orientation scolaire et professionnelle, 36(2), 137-156.
  • Hugrée, C., & Poullaouec, T. (2022). L’université qui vient : un nouveau régime de sélection scolaire. Raisons d’agir.
  • Manifet, C. (2016). Du problème de l’échec en licence à celui de la régulation de la demande sociale dans l’enseignement supérieur : réflexion sur les enjeux institutionnels des universités en France. Politiques et management public, 33(34), 233-258.
  • Ménard, B. (2018). Le décrochage dans l’enseignement supérieur à l’aune de l’approche par les capabilités. Formation emploi, 142, 119-141.
  • Michaut, C. (2012). Réussite, échec et abandon des études dans l'enseignement supérieur français : quarante ans de recherche. Dans Romainville, M. et Michaut, C. (dir.), Réussite, échec et abandon dans l’enseignement supérieur. (p. 53 -68). De Boeck Supérieur.
  • Millet, M. (2012). L’« échec » des étudiants de premiers cycles dans l’enseignement supérieur en France : retours sur une notion ambiguë et descriptions empiriques. In M. Romainville et C. Michaut (Eds.), Réussite, échec et abandon dans l’enseignement supérieur (p. 69-88). De Boeck Supérieur.
  • Perret, C., & Henry, M. (2018). « Rebondir » dans la même université après un échec en première année de santé : les stratégies étudiantes dans le cadre d’un dispositif institutionnel de réorientation. L’orientation scolaire et professionnelle, 47(2), 357-388.
  • Sarfati, F. (2013). Peut-on décrocher de l’université ? Retour sur la construction d’un problème social. Agora débats/jeunesses, 63(1), 7-21.
  • Sorho-Body Kady, M.-D. (2018). Le travail salarié a-t-il un impact sur la réussite en première année de licence ? Formation emploi, 142(2), 211-230.
  • Zaffran, J., & Aigle, M. (2020). Qui décroche de l’université ? Mise en perspective d’une enquête en région Aquitaine. Revue de l’OFCE, 167(3), 5-41.

Résumé

Plusieurs enquêtes empiriques se sont intéressées aux sorties précoces de l’enseignement supérieur en France, dont les taux jugés élevés préoccupent. L’objectif de cette note de synthèse est de présenter un panorama des principaux constats issus de ces études, afin de mieux comprendre les enjeux relatifs à l’abandon en première année de licence (L1) et la manière dont ils sont appréhendés dans la littérature scientifique. La synthèse est construite à partir d’une recherche documentaire. Les articles retenus ont été publiés entre 2007 et 2022, et portent sur le contexte français. La première partie de la synthèse s’attache à présenter les résultats relatifs aux variables explicatives de l’abandon en L1. En fonction de la manière dont le phénomène est appréhendé, ces résultats renvoient d’une part aux caractéristiques des étudiants, et d’autre part aux caractéristiques de l’institution universitaire. La deuxième partie porte sur les résultats invitant à remettre en question et à nuancer le phénomène qualifié de « décrochage » ou d’« échec » universitaire, qui interrogent la vision alarmiste qui domine dans le débat politique.

Auteurs


Anna Aslett

anna.aslett@u-bordeaux.fr

Affiliation : Université de Bordeaux

Pays : France


Christophe Roiné

Affiliation : Université de Bordeaux

Pays : France

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