La semaine d’intégration, un dispositif pour la persévérance en première année de licence ? – Rapport de recherche de l'Open Lab In'Pact
Alors que la licence de sociologie de Bordeaux mène une transformation globale de son offre de formation, l’Open Lab In’Pact a été sollicité pour mener une enquête de suivi sur une nouvelle manière d’accueillir les étudiants de première année : l’organisation par l’équipe pédagogique d’une semaine d’intégration. Les résultats de l’enquête qualitative mettent en évidence les impacts de cette semaine immersive sur l’entrée des étudiants dans la formation et sur leur persévérance dans leur parcours universitaire. Apprivoiser l’institution, entrer dans la discipline par la pratique, favoriser le processus d’affiliation, aborder l’avenir professionnel avec confiance, tisser des liens entre pairs, prévenir l’isolement et le décrochage… sont autant de défis que tente de relever la semaine d’intégration.
1. Contexte
Depuis septembre 2022, la licence de sociologie de l’université de Bordeaux a été refondée à la suite de plusieurs constats de l’équipe enseignante. L’un d’eux était la difficulté des étudiants de première année à s’intégrer à la fois dans leur environnement d’études et dans leur discipline. L’une des nouveautés de cette refonte est la mise en place, par l’équipe pédagogique, d’une semaine d’intégration (SI), début septembre, à destination de tous les L1 entrant en licence de sociologie.
Durant cette semaine, la promotion est divisée en huit groupes de travaux dirigés (TD). Chacun est encadré par un enseignant référent qui accompagne son équipe tout au long de la semaine. Quotidiennement, les groupes réalisent des activités en lien avec la sociologie (micros-trottoirs, photographies sociologiques, énigmes sur des concepts sociologiques, etc.) dans différents quartiers de la ville de Bordeaux. La semaine se veut ludique : chacun tente de remporter un maximum de points pour faire gagner son équipe à l’issue de la semaine.
Sollicité par l’équipe de sociologie, l’Open Lab In’Pact a réalisé une enquête visant à étudier la refonte de la licence de sociologie, durant ses premières années de mise en œuvre. Le rapport présenté ici s’intéresse spécifiquement au rôle joué par la semaine d’intégration sur l’expérience universitaire des étudiants, en particulier sur leur persévérance en L1. Pour cela, dans un premier temps, nous avons observé la semaine d’intégration en septembre 2023, recueilli des retours « à chaud » des étudiants à la fin de cette semaine et interviewé les enseignants en charge de son organisation. Dans un second temps, sept mois après nos observations, nous nous sommes entretenus avec 16 étudiants de la promotion de L1 2023-2024, pour tenter de comprendre en quoi et comment cette semaine immersive avait impacté leur année d’études.
À la suite de l’analyse des données d’enquête, nous observons une forte satisfaction concernant la semaine d’intégration chez les étudiants. Ils se disent majoritairement satisfaits d’avoir pu entrer à l’université par ce dispositif, qu’ils définissent comme « sympa et utile » (E9), comme « un bon moment » (E1), « primordial » (E3), et comme « un bon moyen de commencer l’année à la fac » (E8). Et ce, autant dans la forme, qui leur permet d’être « directement dans le bain » (E1), que dans la durée d’une semaine complète : « une semaine c'était parfait ! […] ça nous a permis de tout appréhender » (E3).
Sept mois après cette expérience collective, les étudiants la mentionnent régulièrement dans leurs discours lorsqu’on les interroge sur ce qui les a aidés à entrer dans cette organisation nouvelle, l’université, qui peut leur paraître a priori lointaine (Coulon, 1997). La semaine semble contribuer à calmer les appréhensions et réduire l’isolement. Elle permet aussi d’instaurer une entraide au sein de la promotion et un bien-être général des étudiants, insufflé également par une remise en question des représentations qu’ils avaient a priori des enseignants du supérieur. Enfin, cette semaine d’intégration favorise une première rencontre avec la discipline et avec leur environnement d’études, leur campus, leur ville. Entrons dans les détails !
2. Rompre l’appréhension
Dans nos entretiens, les étudiants nous ont confié leur appréhension face à l’entrée dans cette nouvelle institution. Certains étaient « hyper stressés » (E8), « un peu paniqués » (E4), d’autres remarquaient qu’« arriver à la fac, c’est déroutant » (E13). Ces craintes s’expliquent par des discours préalables sur l’université relativement anxiogènes, notamment émis par les enseignants du lycée : « ils nous ont vachement mis la pression par rapport à l'université, en disant que ça allait être pire, que les profs allaient nous laisser seuls, que ça allait être l'enfer, que si on ne suivait pas, on allait être perdus, qu’il n’y aurait pas de suivi pédagogique, qu'il n’y aurait rien du tout » (E4).
Un grand nombre des enquêtés assurent que la semaine d’intégration a aidé à calmer cette appréhension initiale. Là où l’entrée à la fac « sonne hyper sérieux » (E12), la semaine d’intégration permet d’« enlever un peu de poids » (E12). Grâce à elle, « on ne rentre pas directement dans le dur » (E13). Les étudiants se déclarent « vite rassurés » (E3), ils ont « beaucoup moins de stress » (E8) : « au bout de deux, trois heures c’était bon » (E4), « ça a créé une bonne ambiance, on se relaxe un peu, on rigole ensemble, c'est sympa » (E12).
3. Rompre l’isolement
La semaine agit également sur l’une des craintes que l’on retrouve le plus dans les entretiens : « être tout seul » (E7). Elle apparaît comme un véritable temps de rencontre, un moment privilégié pour « connaître de nouvelles personnes » (E1), pour « faire des connaissances » (E9). Son format, plus ludique et collectif que des cours classiques, facilite ces rencontres : « dans le cadre d'un jeu et d'activités ludiques, je trouve que c'était plus facile de créer du lien » (E15). Les étudiants pointent cet aspect comme le principal apport de la semaine : « franchement pour faire des rencontres c'est génial, c'est vraiment le point que je retiendrai le plus » (E4), « c'était surtout utile pour rencontrer des gens » (E2) et « ne pas arriver à la fac en étant tout seul » (E2).
Beaucoup ont créé des amitiés solides (qui persistent au moment de nos interviews), grâce à la semaine d’intégration : « mes deux meilleures amies de cette année, je les ai rencontrées pendant la semaine d'intégration […] on ne s’est jamais quittées après » (E3), « j'ai gardé ce groupe d'amis de début d'année » (E7), « depuis on ne s’est pas lâchés » (E14), « j'ai rencontré ce groupe d'amis, direct je me suis sentie bien » (E7).
Néanmoins, pour certains, ces liens créés au cours d’une semaine ne sont pas toujours pérennes. Un étudiant parle par exemple de lien « difficile à garder » (E13), un autre d’une cristallisation des groupes : « ces groupes sont restés tels quels, tout le reste de l'année, les personnes ne se sont pas forcément mélangées » (E5).
Mais, au-delà des rencontres interpersonnelles, la semaine a également insufflé une cohésion de groupe, un lien entre les étudiants d’un même groupe de TD : « on s'entend tous bien dans le groupe de TD » (E1), « on avait vraiment une classe qui était hyper soudée » (E4). Les groupes de TD créés lors de la semaine d’intégration perdurent tout au long de l’année universitaire, ce qui permet de garder cette cohésion.
En somme, la semaine d’intégration, propice aux rencontres, permet de créer un climat familier pour l’étudiant. Il n’est plus seul à entrer dans cette organisation nouvelle, puisqu’il fait partie d’un groupe de semblables : « je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule à appréhender » (E14). Cela rassure, calme le stress : « une fois que tu as une petite équipe pour découvrir, ça change tout » (E3), ensemble ils peuvent « désamorcer l’inconnu » (E15).
L’entrée à l’université s’accompagne souvent d’une rupture familiale et amicale pouvant générer de l’isolement (David & Melnik-Olive, 2014), et « le “monde atomisé” de l’université de masse ne facilite pas les rencontres » (Beaupère et al., 2007 ; cité dans David & Melnik-Olive, 2014, 86). Or, plusieurs études soulignent l’influence de l’isolement des étudiants sur les risques d’interruption des études en début de licence (David & Melnik-Olive, 2014 ; Pernin, 2022), rappelant notamment que « les sociologues parlent d’abandon “par démaillage” pour les étudiants qui abandonnent pendant les vacances parce qu’ils n’ont pas pu nouer de liens suffisamment structurants sur le plan relationnel ni pédagogique » (David & Melnik-Olive, 2014, 86).
4. Développer une entraide entre pairs
Cette rapide sociabilisation au sein des groupes de TD académiques ne se résume pas à de bons rapports entre les individus de la promotion de L1 : cela infuse dans toutes les sphères de la vie étudiante. Les liens d’amitié sont aussi des liens d’entraide et de solidarité.
En interviewant les étudiants, nous découvrons que l’entraide entre pairs est très présente dans cette première année de licence, que ce soit pour appréhender leur nouvel environnement d’études, leur formation ou leurs apprentissages. Pour eux, la semaine d’intégration y est pour beaucoup : « si on avait commencé directement par les cours, je ne sais pas si on en serait là, à bien s'entendre tous et à s'entraider » (E9).
L’entrée à l’université est souvent inaugurée par un « temps de l’étrangeté » (Coulon, 1997), où il faut apprendre rapidement de nouvelles règles (règles de conduite, nouveau vocabulaire, nouveaux types d’interaction…). Pour certains étudiants, ce temps qui précède celui de l’affiliation véritable est compliqué à traverser et peut se prolonger des mois, ce qui grève fortement la réussite et la persévérance en première année. La semaine d’intégration semble faciliter ce passage de l’étrangeté à l’affiliation, dans la mesure où les étudiants expérimentent ensemble : « on vivait toutes ces premières expériences ensemble : se perdre dans les couloirs, parce que c’est super grand, ne pas savoir quand est-ce que notre emploi du temps va arriver, etc. » (E3). Nos enquêtés parlent de « solidarité dans le groupe » (E10), créée grâce à cette semaine, et qui perdure tout au long de l’année. Certains nous parlent d’un groupe WhatsApp, inauguré pendant la semaine d’intégration : « souvent on relaie les informations des profs » (E4), « dès qu'il y a une question, dès qu'on est perdu, on envoie un message et ils [les étudiants] nous répondent » (E10).
L’entraide, née durant la semaine d’intégration, s’est également déployée dans l’acte d’apprentissage des étudiants de sociologie : « je révise avec mes amis » (E1), « tout le monde s’aidait » (E4), « au deuxième semestre […] on a pu tous bosser ensemble » (E4).
Dans leurs travaux, David et Melnik-Olive (2014) montrent comment l’université est associée à un manque d’encadrement nuisant au processus d’affiliation et caractérisé par l’injonction immédiate à l’auto-organisation, la pédagogie de masse et des services administratifs perçus comme éloignés des préoccupations des nouveaux arrivants. Certains étudiants développent des stratégies face aux carences institutionnelles ressenties, notamment une « stratégie de prise de parole » (Hirschmann, 1970 ; dans David & Melnik-Olive, 2014), qui est un comportement proactif vis-à-vis de l’université (par exemple, créer un groupe Facebook pour partager les informations non communiquées par l’administration). Ce comportement proactif nécessite des ressources, comme du capital humain (entourage, réseau, relations), inégalement réparties entre les étudiants (David & Melnik-Olive, 2014).
5. Bien-être dans la formation : se sentir intégrés
Le fait de commencer les cours (la semaine suivant la SI) en connaissant déjà ses pairs réduit l’anxiété. Les étudiants sont à l’aise dans leur formation : « Quand on a dû passer à l'oral, vu qu'on se connaissait un peu tous, c'était beaucoup plus rassurant. » (E4) On observe que cette sociabilisation inaugurale a des effets bénéfiques sur le bien-être de l’étudiant dans sa formation. Pour eux, la semaine « a coupé la barrière de la timidité » (E9), a aidé à « être un peu plus à l’aise, […] être plus sûr de soi » (E1) : « Quand on est entrés dans les cours, on était plus facilement intégrés, c'était plus simple. » (E9)
Lorsque nous avions interviewé les enseignants en charge de la refonte de la licence, cette aisance des étudiants avait été mentionnée : « Moi j'ai un cours de L1 juste après, en promo entière, je trouve que la qualité des échanges dans cet amphi bondé, qui est quand même un peu compliqué à avoir, elle était meilleure, il y a quelque chose d'acquis un peu. » (P1)
6. Changer l’image de l’enseignant universitaire
Au-delà de leurs pairs, ce vivre ensemble insufflé par la semaine d’intégration inclut aussi les enseignants de la licence. Elle permet une rencontre de cette figure du professeur des universités a priori distant et non disponible.
Avant d’entrer à l’université, les étudiants avaient une vision austère du professeur de faculté. Ils nous confient ainsi qu’ils s’attendaient à avoir des enseignants « aigris » (E12), « éloignés, distants » (E12), qui « allaient nous laisser seuls » (E4), « qui s’en foutent de tout le monde » (E2).
Rencontrer les enseignants durant cette première semaine leur a permis de « déconstruire cette image du prof de la fac, qui est là pour donner son cours et qui s'en fout » (E2). Un grand nombre d’étudiants ont été « rassurés » (E3) de voir des enseignants « super gentils » (E3), « accessibles » (E8), « rigolos » (E8), « toujours joyeux » (E4), « sympas » (E12), « hyper bienveillants » (E16), etc.
De plus, ils ont apprécié rencontrer les enseignants dans un cadre moins formel, propice à la rencontre : « ils ont pu se présenter et on avait notre enseignante référente, on a pu connaître une prof » (E2), « le fait de les avoir vus dans un autre cadre, avant les cours, ça donne une approche un peu plus sympa » (E9).
Néanmoins, cette première rencontre n’a pas inauguré de liens pérennes. De nombreux étudiants nous ont confié ne plus être en lien avec leur professeur référent de la semaine d’intégration : « ça ne permet pas de garder une relation avec eux » (E5), « je ne sais même plus son prénom » (E3). La principale raison semble être qu’ils ne revoient pas (ou peu) leur référent et la plupart des enseignants de la SI au cours de l’année universitaire : « on ne l’a eu qu’une seule fois en cours » (E15), « comme on ne la revoit pas du tout, c'est coupé quoi, on ne se sent pas vraiment légitime à prendre contact avec elle » (E5).
Mais, d’autres liens avec l’équipe enseignante en général apparaissent. Le fait que l’étudiant n’aille pas voir spécifiquement son enseignant référent de la semaine d’intégration est aussi dû au fait qu’il se sent assez à l’aise pour solliciter l’ensemble des enseignants : « je pourrais aller vers lui si j'avais une question, ça ce n’est pas un souci, mais franchement vers tout le monde » (E4).
Enfin, la rencontre première avec les enseignants de la SI peut avoir un impact sur les choix futurs de cours que vont faire les étudiants : « Quand j'ai su que c'était cette prof-là […] j'étais pas mal rassurée, je me suis dit ce n’est pas un cours où je vais m'ennuyer, ça m'a vachement motivée à faire ce choix aussi » (E4), « quand on voit le nom des professeurs dans le livret d'enseignement, on se dit “ah c'est vrai qu'il était comme ça, il a été sympa” » (E9).
La pédagogie de masse à l’université est associée à l’anonymat et à un dialogue rudimentaire avec les enseignants, et constitue en ce sens une lacune institutionnelle mettant à mal la fonction de « cadre » permettant le passage vers le statut de jeune adulte, que les étudiants associent souvent à l’université (David & Melnik-Olive, 2014).
7. Rapport à la discipline
La semaine d’intégration est également le moment où l’étudiant va rencontrer la sociologie en tant que discipline universitaire. Tous s’accordent pour dire que la SI est en lien avec cette discipline : pour certains, cela leur a permis de « découvrir ce que c’était que la socio » (E5), de « mieux comprendre concrètement ce que c’est que la sociologie » (E13), de « mettre des mots dessus et arriver à comprendre » (E3).
Ils parlent de « mise en bouche » (E8), de « petites infos » (E15), cela permettait de « découvrir les choses qui nous attendaient » (E1). Ils soulignent que, néanmoins, ça n’est pas « là où la sociologie est la plus abordée » (E8) : « C'est plus dans les CM [cours magistraux] que j'ai appris la sociologie, là c'était vraiment juste histoire de nous rassurer. » (E7) Cette découverte de la discipline est pour les étudiants au second plan de la semaine : « ce n’est pas un point majeur de la semaine d’intégration » (E5).
L’entrée dans la discipline se fait concrètement, par des activités (et non par un apport théorique magistral). La SI permet aux étudiants de « tester sur le terrain » (E13), ils parlent de « méthodes de sociologie » (E9), « on a fait pas mal de pratiques, les micros-trottoirs ça nous a mis dans le bain direct » (E4).
Dès la SI, certains étudiants questionnent la sociologie et ses manières de l’étudier : « au début je me disais que c’était un peu plus du journalisme, après ils nous ont expliqué ce que c'était que les photos sociologiques » (E4), « je n’arrivais pas à me dire, comment je peux juger telle personne que je vais interroger » (E4).
8. Rencontrer d’anciens étudiants
Au cours de cette semaine, les nouveaux étudiants ont pu rencontrer des anciens étudiants de la faculté pour découvrir leurs parcours d’études et professionnels et échanger avec eux. Cette rencontre s’est déroulée en amphithéâtre avec l’ensemble de la promotion.
Globalement, les étudiants n’ont pas beaucoup de souvenirs de ce moment, ils ne l’ont que rarement mentionné spontanément au cours des entretiens. La plupart ont dû prendre un temps de réflexion pour s’en rappeler lorsqu’on les interrogeait spécifiquement sur ce sujet : « ça me dit un truc » (E2), « oui c’est vrai ! J’avais totalement oublié » (E16).
Ce moment a tout de même contribué à apaiser certaines inquiétudes des étudiants concernant leur avenir dans cette discipline : « ça te rassure sur le fait qu’après cette licence il y a des débouchés » (E7), « ils nous ont tous rassurés, dans le fait qu'on ait un avenir ! » (E3).
Néanmoins, ce temps ne répond pas aux préoccupations immédiates des étudiants, qui ne se sentent pas encore concernés par les projets professionnels présentés : « au tout premier semestre, on a déjà tellement d'informations que ça... ouais, ok… on peut en parler, mais je suis en tout début d'année, laisse-moi déjà finir mon année » (E8). Pour certains, qui découvrent tout juste la discipline, cela peut même paraître difficile à appréhender : « c'était compliqué de comprendre ce qu'ils faisaient, dans le sens où je n’avais toujours pas compris à quoi servait la sociologie » (E5). Plusieurs ont évoqué l’idée de proposer ces rencontres plus tard dans l’année : « s'ils reviennent au début du second semestre, en janvier, là c'est plus propice » (E8).
Bien que ce moment ait contribué à réduire les inquiétudes de ceux qui doutaient des débouchés d'une licence en sociologie, il semble prématuré pour avoir un véritable impact sur leurs projets personnels d’orientation : « pour être honnête, ça n'a pas influencé mon orientation » (E9).
Dans ses travaux, Millet (2012) explique comment les filières non sélectives, dont la sociologie, sont souvent associées à une plus faible projection des étudiants dans leur avenir professionnel, à la fois parce que le choix de la filière est souvent effectué « par défaut », et parce que ces filières sont moins prestigieuses et offrent ainsi des diplômes souvent moins reconnus et de moindres débouchés professionnels. Son étude montre que le rapport différencié à l’avenir professionnel selon les filières influence l’investissement des étudiants dans leurs études. Dès lors, les rencontres avec d’anciens étudiants organisées dans le cadre de la SI sont susceptibles de favoriser la réussite étudiante, en rassurant les étudiants quant aux débouchés de la formation.
9. Trouver des repères
Durant la semaine d’intégration, les étudiants se retrouvaient chaque jour sur le campus où ils allaient vivre tout au long de la licence. Lors des différentes activités mises en place, ils ont pu explorer Bordeaux, cette ville qui, pour certains, était inconnue avant leur arrivée à l’université. La SI leur a permis de trouver des repères, et ne pas commencer l’année dans « un lieu inconnu » (E15), « d'appréhender les lieux avec moins de stress » (E15), de savoir « là où on mettait les pieds » (E14).
Dans nos entretiens, beaucoup d’étudiants évoquent spontanément la découverte de Bordeaux comme un des points positifs de la semaine d’intégration : « elle m'a aidé à découvrir Bordeaux, ça, ce n'est pas négligeable » (E8). Dans chacun des groupes, on retrouve à la fois des étudiants bordelais et des étudiants venus d’ailleurs. Tous ont apprécié parcourir les différents quartiers : « c'est une bonne introduction des lieux importants, ça c’était très sympa » (E5), « je viens de Rive-Droite, […] il y avait plein de coins que je ne connaissais pas trop, même pour moi c'était très utile de faire ça » (E2).
De plus, on observe là aussi de l’entraide entre les étudiants, puisque les bordelais accompagnent les non-bordelais dans cette découverte de la ville : « tous les gens de mon groupe étaient bordelais, alors c'était sympa d'y aller avec eux, je ne me préoccupais de rien, ils m'emmenaient » (E12).
La découverte du campus (de la Victoire) est moins mentionnée dans les discours : « connaître la fac en elle-même, on n’y était pas, donc ça ne m’a pas vraiment appris le bâtiment » (E10). Mais, au-delà de connaître le campus de l’université de Bordeaux, cette semaine permet aux étudiants de découvrir ce qu’est un campus universitaire : « il y en a plein qui ne se sont jamais retrouvés dans des amphis, ça nous met un peu dans le bain » (E2).
De plus, le fait que cette découverte débute lors d’un temps moins formel réduit le stress des étudiants : « c’était un peu plus light si on se trompait, on n’arrivait pas en plein milieu d’un cours, c’était moins stressant pour connaître le lieu » (E15).
La « difficulté de se repérer dans les bâtiments » et la « dimension labyrinthique des locaux » sont identifiés dans la littérature scientifique comme des éléments nuisant à la compréhension des règles de fonctionnement de l’institution universitaire, mettant à mal le processus d’affiliation et favorisant ainsi les risques de sortie précoce de l’université (David & Melnik-Olive, 2014, 94).
Conclusion
En conclusion, la semaine d’intégration destinée aux étudiants de première année impacte plusieurs dimensions de leur vie universitaire, de leur adaptation à l’environnement d’études à leurs apprentissages, en passant par leur orientation dans la formation globale. Concevoir l’entrée à l’université comme un moment crucial pour la persévérance des étudiants invite à redéfinir la notion de réussite universitaire et le rôle de l’institution dans ce processus. Il ne s’agit plus seulement de préparer théoriquement et méthodologiquement les étudiants aux examens, mais de les accompagner tout au long de leur expérience universitaire.
En termes de rapport entretenu par l’institution universitaire avec l’échec étudiant, la SI semble être une initiative s’inscrivant dans la logique « accessibilité et débouchés », dominante dans les années 1960 et remplacée depuis par les logiques de « sélection-contrôle » et de « sélection-évaluation » (Manifet, 2016). La logique « accessibilité et débouchés » vise notamment à lutter contre l'échec en agissant sur l'accessibilité (favoriser un meilleur accueil et une meilleure information des étudiants sur les cursus, les services et les modalités d'examens) (Manifet, 2016).
Références
- Coulon, A. (1997). Le métier d’étudiant – L’entrée dans la vie universitaire. Paris : Presses universitaires de France.
- David, S., & Melnik-Olive, E. (2014). Le décrochage à l’université, un processus d’ajustement progressif ? Formation emploi, 128, 81100.
- Manifet, C. (2016). Du problème de l’échec en licence à celui de la régulation de la demande sociale dans l’enseignement supérieur : Réflexion sur les enjeux institutionnels des universités en France. Politiques et management public, 33(34), 233258.
- Millet, M. (2012). L’« échec » des étudiants de premiers cycles dans l’enseignement supérieur en France : Retours sur une notion ambiguë et descriptions empiriques. In M. Romainville et C. Michaut (Eds.), Réussite, échec et abandon dans l’enseignement supérieur (p. 6988).
- Pernin, J.-L. (2022). Intention d’abandonner ses études chez les étudiants et Covid-19 : Une application de la théorie du comportement planifié. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 24.
Résumé
En arrivant à l’université, les lycéens devenus étudiants entrent pour la première fois dans cette institution inconnue avec des appréhensions, des questionnements, des craintes de se retrouver seuls. C’est un temps qui inaugure ce que Coulon (1997) nomme celui de « l’étrangeté ». Les étudiants vont devoir comprendre les rouages de cette organisation nouvelle. Ce temps peut être long et reculer le temps décisif de « l’affiliation » aux normes, aux enjeux et aux attendus institutionnels : temps second qui permet de se consacrer à l’étude et à l’apprentissage.
À l’université de Bordeaux, la faculté de sociologie organise une semaine d’intégration pour accueillir les étudiants de licence première année. Ce dispositif favorise une entraide étudiante durable, la réduction des appréhensions initiales, un changement de représentations quant à la figure professorale, une affiliation à la discipline et à l’institution plus souple et plus rapide.
En permettant aux étudiants de se rencontrer, de coopérer, de s’entraider et d’initier un « vivre ensemble », elle les inscrit dans un collectif de travail rendant le contexte d’études plus rapidement familier. Cela inaugure une affiliation des étudiants à leur environnement d’études, ce qui se révèle décisif quant à leur persévérance.
Pièces jointes
Pas de document comlémentaire pour cet articleStatistiques de l'article
Vues: 616
Téléchargements
PDF: 28
XML: 7