Regards croisés

Hybrider ses ressources : un exemple de « faire pour » les enseignants

Dans un contexte où l’hybridation des formations devient un enjeu central de l’enseignement supérieur, l’accompagnement des enseignants par des ingénieurs pédagogiques joue un rôle clé dans la transformation des pratiques. Ce travail d’ingénierie pédagogique repose sur une approche collaborative visant à adapter des cours existants pour un déploiement en modalité hybride ou entièrement à distance. Cet article présente une démarche structurée d’accompagnement menée auprès d’enseignants dans la refonte de leurs enseignements, de la phase d’analyse des ressources existantes jusqu’à la mise en œuvre effective des séquences pédagogiques sur une plateforme numérique. Il met en lumière les processus de scénarisation et de storyboardage qui permettent d’assurer la cohérence des contenus, ainsi que les impacts de cette collaboration sur l’évolution des pratiques enseignantes.

Introduction

Avec une augmentation des effectifs multipliée par huit depuis les années 80 à l’université française (Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2013), la réussite étudiante est un des défis majeurs de l’enseignement supérieur. Accompagner cette réussite peut passer par différents processus, comme le développement de la motivation des étudiants à travers les activités proposées (Viau, 2009), la mise en place de tutorat (Guillon, 2015), ou encore la proposition de modalités d’enseignement variées s’appuyant entre autres sur le numérique (Bertrand, 2014).

Pourtant des études ont souligné le caractère inégalitaire de ces mesures en fonction du profil des étudiants en bénéficiant (Perret & Morlaix, 2014). Récemment, la crise sanitaire de la COVID 19, et son « passage brutal au tout numérique » (Pélissier, 2021), a particulièrement mis en lumière les inégalités de conditions d’apprentissage des étudiants. Pour tenter de pallier à cette difficulté, le ministère a lancé un appel à projet à l’été 2020 pour aider à la construction des ressources numériques mobilisables dans le cas du travail distanciel. Ces dernières devaient assurer aux étudiants d'apprendre dans des lieux et des temps différents en leur offrant des cours de qualité semblables à ceux qu’ils auraient eus en présentiel.

La construction de telles ressources demandait aux enseignants de faire évoluer leur pratique dans un temps contraint. Dans le cas de La Rochelle Université, des enseignants, parfois réticents quant à ce passage de modalités, ont mis en avant un certain nombre de difficultés en soulignant un besoin d'accompagnement important par exemple dans le choix des outils, ou encore dans l'ajustement du suivi des étudiants à distance (Quéré & Petit, 2022). Il semble alors que le rôle de l’ingénieur pédagogique, accompagnateur de l’enseignant dans le développement de nouvelles pratiques, peut être mis en avant pour soutenir ces changements.

Dans le présent écrit, nous faisons un retour d’expérience sur un projet mené entre 2020-2022 à La Rochelle Université. Celui-ci portait sur la conception de cours hybrides relatifs à des « mineures métiers »1. L'équipe projet a fait le choix pour des raisons de contraintes temporelles de concevoir les ressources « pour » les enseignants. Ce travail a été essentiellement porté par un ingénieur pédagogique. Nous explicitons ici la démarche retenue avant de discuter des avantages et des inconvénients de ce choix méthodologique.

1. Le contexte de l’hybridation à l’université : quelle place pour les ingénieurs pédagogiques ?

Dès la fin des années 1990, la question de l'hybridation dans l'enseignement supérieur est abordée dans la littérature en tant que modalité modifiant les relations d’espace-temps, donnant à voir de nouvelles possibilités de travail et proposant un nouveau rapport de l’enseignant à l’enseignement des savoirs (Valdès, 1995 ; Perriault, 1996 ; Charlier et al., 2006 ; Deschryver et al., 2012). Plus récemment, en France, l'hybridation s'inscrit dans un cadre national visant la transformation des pratiques pédagogiques (Bertrand, 2014 ; Giret et al., 2015 ; Rey & Feyfant, 2017). Elle est vue comme une condition essentielle pour améliorer la qualité de l'enseignement et faciliter la réussite étudiante.

Dans le cadre de La Rochelle Université, un enseignement est dit hybride lorsqu’il est proposé sous la forme d’une alternance de cours en présentiel et de cours en distanciel (synchrone ou asynchrone). Le temps de formation en présentiel est réduit au profit d’une partie de la formation à réaliser à distance (Gérin-Lajoie et al., 2019). L’étudiant doit se rendre dans un espace pédagogique physique où il va suivre les enseignements à des dates déterminées et il doit suivre une partie de l’enseignement à distance à d’autres dates.

Dans notre établissement une cellule dédiée au sein du service de pédagogie est composée de quatre ingénieurs pédagogiques dont deux sont spécialisés sur la question du distanciel. Ils sont amenés à accompagner les enseignants dans leur projet personnel mais également dans l’application plus large de la politique de l’établissement2 qui soutient de manière importante la mise à distance des enseignements.

L’hybridation des enseignements a particulièrement été mise en lumière par la pandémie mondiale de la COVID 19. Durant cette période, l’ingénieur pédagogique, sollicité historiquement pour soutenir l’action de l'enseignant avec le numérique, a été soulignée en faisant « l’expérience nouvelle et étrange de notre interdépendance au vivant, mais également aux autres, à ce qui nous relie les uns aux autres, étudiants/enseignant, enseignants d’une même équipe, d’une même institution, enseignants/administratifs, enseignants/étudiants, enseignants/ingénieurs pédagogiques, etc. » (Villiot-Leclercq, 2020).

Le passage partiel des cours en distanciel a représenté un défi d’ampleur en termes de renouvellement de pratiques pour les enseignants mais aussi pour les ingénieurs pédagogiques qui les accompagnent. Une bonne connaissance des outils numériques se devait d’être articulée avec des réflexions pédagogiques fines en termes de scénarisation et de contenus pour une mise en œuvre optimale du cours. Pour tenter de soutenir cette transformation dans un temps contraint, nous avons expérimenté le « faire pour » l’enseignant. Précisons que lorsque nous parlons de « faire pour » les enseignants, il ne s’agit pas de se substituer à la totalité du travail de conception de ces derniers mais bien que l’ingénieur puisse prendre à sa charge une partie conséquente de celui-ci. La méthode mise en œuvre sera décrite dans le paragraphe 4.

2. Une démarche basée sur l’approche documentaire du didactique

Dans l'approche documentaire du didactique, les auteurs, Gueudet et Trouche (2010) s’intéressent à toutes les ressources des enseignants. Ils considèrent que les enseignants forment, à partir de ressources disponibles et en développant un schème d’utilisation de ces dernières, des « documents » tout au long de leur travail. Le schème peut être perçu comme une habitude d’action qui va être remobilisée dans un contexte différent. Face à une nouvelle ressource, l'enseignant mobilise ses schèmes et ceux-ci peuvent être amenés à évoluer favorisant alors la constitution d'un nouveau document dans un processus de genèse documentaire. Nous considérons que la constitution de nouveaux documents est signe de développement professionnel.

Dans notre cas, les enseignants ont à leur disposition les cours conçus pour la classe en présentiel. Lors du passage à distance, ces mêmes cours sont adaptés, modifiés, transformés. Une réflexion est nécessaire pour la mise en œuvre de ces derniers dans une modalité à distance. Nous faisons l’hypothèse suivante : l’adaptation de ces cours peut être prise en charge par un ingénieur pédagogique ; ce travail étant mené à partir de leurs propres ressources, les enseignants seront plus enclins à les intégrer dans leur système de ressources, c’est-à-dire dans l’ensemble des ressources à leur disposition pour faire un cours, et ainsi à les mettre en œuvre développant ainsi de nouveaux schèmes d’action liés des ressources hybridées.

Précisons que le présent article étant avant tout un retour d’expérience, nous ne mettrons pas ici cette théorie au travail. La présenter nous permet de préciser nos choix méthodologiques. Nous l’avons ici brièvement introduite de sorte à ce que le lecteur puisse s’y référer s’il le souhaite.

3. L’expérience

3.1. Le projet : sa présentation, l’équipe

3.1.1. Le projet

L’université, dans un processus de personnalisation des parcours, propose aux étudiants de licence de construire leurs parcours de manière à obtenir une coloration particulière en sortie de cursus. Ainsi, les étudiants ont le choix entre des majeures, éléments principaux constitutifs de leur formation, et une mineure pour apporter une différenciation à leur profil. Un type de mineures proposées est appelée « mineures métiers ». Elles tendent à rapprocher fortement le monde socio-économique et le monde universitaire en articulant savoirs théoriques et savoirs de terrain. Le développement de ces mineures s’inscrit dans le projet national Nouveaux Cursus Universitaires - Open Curriculum. Une extension de ce projet, Open CAmpus Mineures des littorales (OCAM), lancé pour une durée de 18 mois en 2020 a permis une nouvelle forme d’accompagnement des enseignants dans l’hybridation de leur mineure métier. Nous présentons ici les résultats reposant sur ce projet.

3.1.2. L’équipe

L’équipe était constituée de trois membres. La cheffe de projet, enseignante-chercheuse en sociologie, un ingénieur pédagogique, docteure en didactique et d’un étudiant de master travaillant sur les questions de réussite.

Chacun des membres est intervenu à des temporalités différentes du projet. L’ingénieur a été présente sur l’ensemble des réunions et a fait les choix en termes de modalités de travail, la cheffe de projet est intervenue a des moments clés pour débloquer des situations compliquées, enfin l’étudiant s’attachait à conseiller l’ingénieur pendant la construction du cours sur la possible perception des activités côté étudiant.

Le travail a été réalisé auprès de deux enseignants-chercheurs, une intervenante et un professionnel acteur socio-économique.

3.2. Les contraintes du début de projet

Le projet a dû faire face au début de sa mise en œuvre à ce que nous nommons une résistance au changement (Auras, 2022). En effet, les enseignants étaient alors peu enclins à s’engager dans un nouveau projet en lien avec la mise à distance de leurs enseignements, ces derniers sortant d’une période éprouvante, évoquant leurs difficultés à faire cours à distance. Il était alors important d’identifier les raisons précises de cette retenue pour mieux les engager dans ce projet. Nous avons tenté de comprendre si ces réticences reposaient sur un besoin d'accompagnement plus individualisé ou sur une perception erronée des enseignants de leurs compétences dans le domaine afin de tenter de les lever.

Dès l’origine des échanges, il a été essentiel de proposer un cadre sécurisant aux enseignants pressentis sur ce projet. Pour cela, et après que l'ingénieur pédagogique ait envoyé des courriels explicitant ses objectifs restés sans réponse de la part des enseignants, la cheffe de projet a proposé un temps d’échanges plus informel pour présenter de nouveau le projet et échanger directement sur les freins de ces derniers. Ces moments, deux au total, ont permis la construction du dialogue entre l’équipe projet et les enseignants. Se rencontrer a soutenu la construction d’un collectif. Ainsi, une première réunion a pu avoir lieu avec l’ensemble des enseignants d’une même mineure et la démonstration par l’ingénieur pédagogique de son travail a rassuré les acteurs. Cela a ainsi aidé à la récupération des ressources de cours de ces derniers.

Par ailleurs, il semble que le choix réalisé de mettre au travail un ingénieur avec une double casquette (docteur - chargé de cours et concepteur pédagogique) a rassuré les intervenants sur la capacité de prise en charge de cette partie de leur activité pour avancer différemment sur la production des ressources qu’ils ont peu ou pas le temps de réaliser.

3.3. La méthodologie de conception retenue

Nous avons mis en place une méthodologie itérative pour entrer dans un processus de transformation des cours existants en cours hybridés. Pour ce faire, six étapes ont été retenues comme le montre le schéma ci-dessous :

Schéma 1 – Les six étapes du passage en distanciel
F32CBD99

Dans un premier temps, une découverte des enseignements présentés a été réalisée. L’appropriation d’un cours conçu par une tierce personne passe par un temps incompressible de découverte des contenus. Pour cela, les échanges avec l’enseignant nous ont permis d’appréhender les points essentiels de son cours en comprenant le contexte de la formation et les objectifs d’apprentissage visés. Dans un second temps, et pour compléter la collecte de ces premières informations, les supports produits pour le cours en présentiel par l’enseignant ont été collectés et analysés (PowerPoint, syllabus, etc.). Ce travail de déconstruction a été réalisé à l’aide d’outils didactiques et plus particulièrement d’un tableau de scénarisation. Celui-ci reprend les différents éléments identifiés dans les propos et le support de cours de l’enseignant. Il est amené à être complété au fil du travail d’ingénierie pédagogique. Ainsi, un tableau non complet peut être soumis à l’enseignant pour relecture afin que celui-ci valide d’une part les informations annotées et d’autre part, précise les éléments manquants. La lecture d’un tableau donne à voir une vision globale de l’intégralité d’un cours dans un découpage allant de la description des activités à leur l’évaluation.

Le tableau se présente sous la forme suivante :

Tableau 1 – Tableau vierge de scénarisation

Étape

Contenu de l’activité

Ressources utilisées

Modalité de travail

Modalité d’enseignement

Temps dédié à l’activité

1

2

Évaluation

Le tableau compte six entrées que nous décrivons ici.

Une première entrée se nomme « étape ». Celle-ci permet de découper le cours pour comprendre à quel niveau du déroulé du cours nous nous situons, par exemple une phase d’introduction, activité écrite ou encore d’évaluation.

La deuxième entrée porte sur le déroulé précis de l’activité. Elle correspond à la description la plus fine des activités. Elle décrit ce que les étudiants vont devoir réaliser en précisant les consignes et les étapes successives à suivre pour finaliser l’activité.

La troisième entrée liste les ressources utilisées pour cette activité du côté de l’enseignant et du côté de l’étudiant. Les supports de cours proposés par l’enseignant peuvent ici être enrichis. Par exemple, un diaporama donné comporte souvent peu, ou pas de vidéos, hyperliens ou de textes complémentaires. L'ingénieur pédagogique pourra alors faire des propositions de manière à compléter ces premiers apports et favoriser un apprentissage à distance.

La quatrième entrée porte sur les modalités de travail. Ici, il sera précisé si l’étudiant travail seul ou en groupe, par exemple.

La cinquième entrée porte sur comment la classe va être dispensée à savoir en présentiel ou à distance. Cette entrée permet de nous assurer en cohérence avec l’enseignant de travailler sur les activités que nous proposons de mettre en œuvre à distance. Elle est essentielle dans la cohérence du cours.

Enfin la dernière entrée, celle du temps, résume la durée estimée dédiée à l’activité.

Afin de faciliter la lecture des propositions réalisées sur la séquence complète, nous proposons en plus de ces tableaux de séances une vue résumée de la répartition des cours conservés en présence et ceux mis à distance.

Schéma 2 – Vue synthétique d’une séquence hybridée
D53D8C0F

Les trois séances mises à distance sont des temps d’enseignement centrés sur l’introduction de nouvelles notions. Elles portaient, respectivement, sur la découverte de la notion de créativité, l’art du pitch et le concept de Persona. Ces choix reposent sur une demande de l’enseignante accompagnée. Elle tenait à ce que les étudiants puissent s’approprier des éléments du cours avant de venir les questionner et les appliquer avec elle en temps présentiel.

À la suite de la phase de validation de cette scénarisation hybride par l’enseignant, un storyboard est construit. Celui-ci est un guide pour la création du cours en ligne. Il permet la mise en forme des activités à travers le choix des visuels, l’articulation des ressources pour donner un sens aux activités et montrer ce que l’étudiant va voir à l’écran en spécifiant ce qu’il va lire, les ressources auxquelles il peut avoir accès. Afin de permettre une meilleure compréhension du rendu, le storyboard se découpe en plusieurs scènes, celles-ci montrant ce qui allait être visible à l’écran et le texte correspondant.

Le fichier mobilisé est divisé en quatre parties. Le nom de la scène et le numéro de référence sont précisés. La catégorisation de ces diapos permet de retrouver rapidement la partie dont on parle, cela est très utile en cas de travail entre plusieurs interlocuteurs. La réplique de la voix off ou le texte accompagnant les ressources sont également précisés de manière à être le plus guidant pour l’étudiant dans la réalisation de son activité. L’extrait présenté porte sur la mineure métier entrepreneuriat et ici plus précisément sur une activité de réalisation de poster scientifique.

Image 1 – Extrait donnant à voir une partie d’un storyboard
E0583FF5

Une fois les activités scénarisées, storyboardées et validées par l’enseignant, il reste à importer ces ressources sur le logiciel utilisé, Rise 360. Ce logiciel en ligne, payant, permet une mise en orchestration rapide et agréable des activités. Il est possible d’y ajouter des fichiers sous différentes formes et de revenir simplement sur ces dernières pour une actualisation des ressources. Il est également compatible avec Moodle, condition essentielle pour la cohérence d’ensemble et la simplification de l’accessibilité au cours pour les étudiants.

Ci-dessous nous proposons un exemple de cours hybridé. Nous pouvons voir une image montrant le cours tel que les étudiants le retrouveront sur Moodle.

Image 2 – Extrait de cours produit sur Articulate Rise 360

Ce travail est mis à la disposition des enseignants pour relecture avant un dépôt sur Moodle et une ouverture des accès aux étudiants.

Au terme de la première mise en œuvre du semestre, un travail d’ajustement a été réalisé avec l’enseignant. Ainsi, ce dernier aura pointé au fil de la mise en œuvre des séances des difficultés, des activités et ressources à modifier ou ajouter afin de densifier des contenus ou encore préciser des consignes avant une seconde mise en œuvre l’année suivante.

3.4. Les effets de ce travail sur les pratiques des enseignants

Au début du projet, l’utilisation d’outils numériques par les enseignants engagés dans ce travail est modérée voire faible. Ces derniers déclaraient mobiliser des outils tels que Powerpoint, Moodle ou encore Klaxoon3. Après une utilisation forte due à la crise sanitaire de ces outils, les enseignants étaient peu convaincus de leur bien-fondé comme ils le précisent dans le questionnaire proposé4. Le travail collectif amorcé a permis aux enseignants de découvrir de nouvelles modalités de travail.

Le travail avec l’ingénieur pédagogique a aidé les enseignants à découvrir et enrichir leurs ressources. Ils déclarent que cette modalité leur a permis d'avoir une « meilleure connaissance de ce qui fonctionne et de ce qui est possible de faire ». L'optimisation du temps, associée à la reconnaissance de l’expertise tierce, est également soulignée par l’un d'entre eux : « elle m’a permis de faire ce projet de séquence immersive que je n’aurais eu ni le temps ni la capacité technique de faire moi-même ».

De plus, ce travail a soutenu une évolution des modalités d’interactions avec les étudiants. Cela a donné à voir une méthode d’animation de cours avec le numérique « pas pour les concevoir mais pour les animer » mais aussi de modifier les temporalités de travail en laissant de la place au développement de l’autonomie dans la partie théorique du cours avant un temps de réinvestissement en présentiel. Ainsi, un enseignant déclare que « le numérique permet de fournir aux étudiants la partie cours magistral et le temps que nous passons avec eux permet la mise en pratique des acquis ».

Au fur et à mesure de l’avancée du projet, les enseignants par les allers-retours et les propositions réalisées sont progressivement entrés dans le processus de transformation de la ressource. La première mise en œuvre de ce cours, signe d’une implication forte, a permis de réaliser par la suite des adaptations nécessaires. Nous pouvons ainsi dire en paraphrasant les enseignants que la mise en œuvre des ressources affine les conditions d’enseignement retenues : « La première était sur un format dégradé à cause de la crise et du coup difficile de capter les étudiants. Une autre expérience dans la même salle avec les étudiants en autonomie fut plus concluante. »

Enfin, les enseignants ayant mis en œuvre la ressource en première année se disent prêts à remobiliser les ressources construites après la première itération signe, selon nous, d’une appropriation plus forte à venir.

4. Discussion

Notre hypothèse de travail était la suivante : l’adaptation de cours peut être prise en charge par un ingénieur pédagogique ; ce travail étant mené à partir de leurs propres ressources, les enseignants seront plus enclins à les intégrer dans leur système de ressources, c’est-à-dire dans l’ensemble des ressources à leur disposition pour faire un cours, et ainsi à les mettre en œuvre.

Au terme de notre expérimentation nous retenons les trois points suivants :

- La réticence de départ de certains enseignants à s’impliquer dans ce projet a été négociée par une intervention à différents moments choisis de la cheffe de projet en plus de celles de l’ingénieur pédagogique. La position de l’intervenante a aidé à formuler des objectifs communs acceptables pour les besoins du projet et ceux de l'enseignant par la production de ressources mobilisables en classe. Nous pouvons dire que l’intervention de la cheffe de projet a aidé à la lisibilité du projet et de ses objectifs et, ainsi de mieux y inclure les enseignants à l’aide d’une mise en relation des attentes de ces derniers et de ce que les projets peuvent soutenir. Elle a agi tel un filtre en leur montrant comment la participation à ce projet pouvait répondre à leurs besoins pour la classe.

Le temps de lancement du projet a été allongé par cette négociation, et ainsi le temps de conception réduit. La nécessité d’impliquer dès le départ les enseignants dans la formulation des projets semble essentielle de sorte à faire se rencontrer les ambitions d’un établissement et de ses enseignants.

- Les ressources hybrides proposées aux enseignants ont été mobilisées de façon inégales par ces derniers. En effet, parmi les enseignants ayant accepté de communiquer leurs ressources pour hybridation, deux d’entre eux sur les quatre impliqués n’avaient pas mis en œuvre ces dernières au moment de la rédaction de cet article. Nous pensons que le temps court entre la mise à disposition des ressources hybridées et le déroulé de l’année universitaire ne permettait pas une utilisation immédiate de celles-ci. Par ailleurs, il semble, qu’une fois les ressources mises en œuvre, elles tendent à s’intégrer de manière pérenne dans leur système de ressources ayant ainsi un effet sur leur pratique. Dans notre exemple, la conception reposant sur des ressources existantes celles-ci ont permis à l’enseignante de retrouver des éléments de sa pratique. Les ajustements demandés sont selon nous un signe d’une appropriation forte à venir signe d’une évolution des pratiques. L’évolution du métier d’enseignant induit par cette modalité d’enseignement est perçue comme un réel vecteur pour le développement professionnel (Quéré, 2024).

Dans cet exemple, la méthode a été expérimentée sur un petit échantillon d'enseignants. Il nous semble essentiel de poursuivre ce travail dans les mois à venir de sorte à comprendre comment les enseignants initialement inclus dans le projet poursuivent l’utilisation de ces ressources. De plus, le bon suivi de cette expérimentation permettra de réfléchir à une transposition à l’échelle d’un établissement de cette méthodologie.

- La prise en charge du passage des ressources conçues pour le présentiel vers du distanciel a pu être réalisée par l’ingénieur pédagogique. À l'aide d'outils didactiques robustes, permettant une bonne compréhension des objectifs des enseignants, l’ingénieur pédagogique a pu proposer des ressources hybridées, s’appuyant sur les productions de ces derniers, au plus proche de leurs attentes et ainsi favoriser une mise en œuvre de celles-ci dès la rentrée universitaire suivant le début du projet soit environ six mois plus tard. L’hypothèse de travail reposant sur la prise en charge de la conception partielles de ressources donne à voir une piste pertinente à suivre pour les personnels des services de pédagogies porteurs de pédagogies dites innovantes.

Ce dernier point soulève la question des compétences de l’ingénieur pédagogique. Ce dernier mobilise différentes compétences5 lors de cet accompagnement. Il est, par exemple, possible de relever une connaissance fine des outils numériques qui soutiennent les conseils avisés par rapport au besoin. Une compétence didactique a également été mobilisée pour proposer un découpage fin des activités, soutenir le découpage de ces dernières en termes d’articulation présence/distance. Les compétences de l’enseignant distinctes mais associées à celles de l’ingénieur pédagogique se trouvent alors renforcées par cette collaboration.

Conclusion et perspectives

Pour conclure, nous pouvons dire que le choix de cette méthodologie a permis la bonne tenue du projet. Le choix du « faire pour » consistant à prendre en charge une partie de la didactisation des ressources a été nécessaire d’une part pour réaliser ce travail dans un temps contraint et, d’autre part, pour donner à voir aux enseignants dans quelles mesures l’hybridation était mobilisable dans leur cours. En effet, nous avons montré qu’avec le travail avec l'ingénieur pédagogique, soutenu par les interventions des différents membres de l’équipe projet à des moments clés, les enseignants semblent prêts à s’engager dans une hybridation, lorsque les conditions d’accompagnement sont individualisées notamment lorsque l’ingénieur pédagogique mobilisent des compétences spécifiques en cohérence avec les besoins de ces derniers. Précisons également que l’apparition relativement récente des fonctions de l’ingénieur pédagogique tend vers la reconnaissance de ces métiers émergeants en voie de légitimation (Denouël, 2021).

Enfin, bien que le projet soit officiellement terminé, les éléments ici mis au jour ont engagé une recherche. Elle porte sur l’évolution des compétences des ingénieurs pédagogiques face aux nouveaux besoins de l’enseignement supérieur à travers une étude longue portée à La Rochelle Université par le service de pédagogie.

Notes

  • 1. Nous décrirons l’organisation de l’offre de formation ci-après.
  • 2. L’établissement est lauréat d’un projet Demoes, Smart Code, qui soutient la flexibilité de la formation avec entre autres une articulation pensée des différentes modalités d’enseignement. (https://www.univ-larochelle.fr/luniversite/nos-grands-projets-strategiques/smart-code/)
  • 3. Klaxoon est une société française spécialisée dans l’édition de logiciels applicatifs destinés à faciliter l’organisation des réunions en entreprise.
  • 4. Un questionnaire a été diffusé en ligne aux enseignants au terme de l’accompagnement. Composé de questions ouvertes et fermées, celui-ci a permis de mieux comprendre le positionnement de l’enseignant au début du travail et de mesurer les évolutions de pratique au terme de cet accompagnement. Les questions portaient sur trois thématiques : la place du numérique dans les pratiques enseignantes, le point de vue de l’enseignant sur l’hybridation et enfin le positionnement de celui-ci sur le travail de conception entre lui-même et l’ingénieur. Il est consultable à l’adresse suivante : https://docs.google.com/forms/d/1_LHE9FzIxfaLLv_NeK5hdsICTrO6UCCJX-7JZgtm2iw/prefill
  • 5. Référentiel de compétences actif pour le métier d’ingénieur pédagogique : https://www.francecompetences.fr/recherche/rncp/36652/

Références

  • Auras, E. (2022). Les conseillers pédagogiques, un métier émergeant à l'université – approche sociologique. Colloque international en éducation (CRIFPE). 5-6 mai 2022, Montréal, Canada.
  • Bertrand, C. (2014). Soutenir la transformation pédagogique dans l’enseignement supérieur. https://www.letudiant.fr/static/uploads/mediatheque/EDU_EDU/2/5/253025-rapport-pedagogie-vdiff-01-07-14-original.pdf
  • Charlier, B., Deschryver, N., & Peraya, D. (2006). Apprendre en présence et à distance : une définition des dispositifs hybrides. Distances et savoirs, 4(4), 469-496.
  • Denouël, J. (2021). La reconnaissance professionnelle de l’ingénierie et du conseil pédagogique dans les universités françaises. Un processus en cours mais en tension. Distance et médiations des savoirs, 34. En ligne : https://journals.openedition.org/dms/6309
  • Deschryver, N., Charlier, B., Borruat, S., Burton, R., Ciussi, M., Docq, F., & Mancuso, G. (2012). Dispositifs hybrides, nouvelle perspective pour une pédagogie renouvelée de l’enseignement supérieur.
  • Gérin-Lajoie, S., Papi, C., & Paradis, I. (2019). De la formation en présentiel à la formation à distance : comment s'y retrouver ?
  • Giret, V., Dubrac, D., & Djebara, A. (2015). Cas concret. Les MOOC en France. In Entre unité et diversités (pp. 197-210). Presses Universitaires de France.
  • Gueudet, G., & Trouche, L. (2010). Genèses communautaires, genèses documentaires : histoires en miroir. Dans G. Gueudet & L. Trouche (dir.), Ressources vives, le travail documentaire des professeurs en mathématiques (pp., 129-145). Rennes : Presses Universitaires de Rennes et INRP.
  • Guillon, S. (2015). La coopération étudiante en cours d’études : Tutorat et entraide, facteurs de réussite ? Biennale Internationale de l’Éducation, de la Formation et des Pratiques professionnelles, CNAM ; UNESCO, Paris, France. https://hal.science/hal-01186626/
  • Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2013). L’état de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France. Repéré le 2 décembre 2022 à : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/content_migration/document/EESR_2013_Complet_116_web%2Bindex_250416.pdf
  • Pélissier, C. (2021). Impact des adaptations pédagogiques dans l’enseignement supérieur en période de confinement. Management des technologies organisationnelles, 13, 69-81. https://doi.org/10.3917/mto.013.0069
  • Perret, C., & Morlaix, S. (2014). Des effets du plan réussite en licence sur la sélection universitaire en première année de licence. Carrefours de l'éducation, 38, 175-191. https://doi.org/10.3917/cdle.038.0175
  • Perriault, J. (1996). La communication du savoir à distance. L’Harmattan.
  • Quéré, N. (2024). Vers l’accompagnement de nouveaux acteurs de l’enseignement supérieur : le cas d’une professionnelle de l’entrepreneuriat. Journées d’étude AIPU – section France – L’université a-t-elle vocation à professionnaliser ? 14-15 novembre 2024, Le Mans, France.
  • Quéré, N., & Auras, E. (2022). Accompagner les enseignants du supérieur en hybridation : vers une définition de nouveaux profils de professionnels ? Colloque international en éducation (CRIFPE). 5-6 mai 2022, Montréal, Canada.
  • Quéré, N., & Petit, T. (2022). Hybrider son cours : quels choix pour quels effets ? Atelier présenté au colloque Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur (QPES). 17-20 janvier 2022, La Rochelle, France.
  • Rey, O., & Feyfant, A. (2017). Les transformations des universités françaises (Doctoral dissertation, Institut français de l’Éducation, unité veille & analyses).
  • Valdès, D. (1995). Vers de nouvelles formes de formation : les formation hybrides. Mémoire de DESS, Université de Paris 2.
  • Viau, R. (2009). La motivation en contexte scolaire (vol. 1-1). Bruxelles : De Boeck.
  • Villiot-Leclercq, E. (2020). L’ingénierie pédagogique au temps de la Covid-19, Distances et médiations des savoirs [Online], 30 | 2020, Online since 25 June 2020, connection on 09 December 2022. URL : http://journals.openedition.org/dms/5203 DOI : https://doi.org/10.4000/dms.5203

Résumé

La pandémie de la COVID-19 a contraint les universités françaises à mettre à distance leurs formations dans des délais courts. Les modalités de distanciel étant nouvelles pour certains enseignants, cette transition a pu être délicate à réaliser pour certains d’entre eux. Une des difficultés soulignées par ces derniers porte, notamment, sur l’aspect chronophage de l’adaptation de leurs cours du présentiel vers le distanciel. La Rochelle Université a, à l’aide d’un appel à projets, expérimenté une forme différente d’accompagnement des enseignants en proposant de faire pour les enseignants. Il s’agissait ici de déléguer une partie du travail d’adaptation des ressources à un ingénieur pédagogique. Cette expérimentation a montré que la méthodologie retenue peut, sous certaines conditions, mener les universités à proposer des ressources hybrides robustes co-construites par des enseignants et des ingénieurs pédagogiques. Après une introduction de notre propos, nous présenterons le contexte du travail de l’ingénieur pédagogique en France, et plus particulièrement à La Rochelle Université, avant de revenir sur le cadre conceptuel retenu. Nous décrirons notre expérience de conception en termes de « faire avec » ainsi que la méthodologie mobilisée de manière à montrer comment un travail collaboratif entre enseignant(s) et ingénieur(s) pédagogique(s) peut être envisagé. Enfin, nous discuterons nos résultats.

Auteurs


Nolwenn Quéré

nolwenn.quere@univ-lr.fr

Affiliation : La Rochelle Université

Pays : France


Emmanuelle Auras

Affiliation : La Rochelle Université, EOLE


Jordi Bonnet

Affiliation : La Rochelle Université

Pièces jointes

Pas de document complémentaire pour cet article

Statistiques de l'article

Vues: 351

Téléchargements

PDF: 57

XML: 4