Introduction

L’excellence de l’enseignement supérieur fait partie des six leviers pour réussir France 2030¹, et pourtant plus de la moitié (53 %) des bacheliers 2018 inscrits en première année de licence (L1) à la rentrée suivante n’ont pas obtenu leur diplôme en 3 ou 4 ans². La réussite étudiante est donc un enjeu crucial à l’horizon 2030. L’université de Bordeaux a mis en place en 2018, le programme NewDEAL³ centré sur la réussite des étudiants avec pour levier la transformation de nouveaux modèles d’apprentissage mieux adaptés aux besoins de chaque étudiant. Cet article porte sur un dispositif d’accompagnement à la réussite dans une discipline centrale au sein d’un diplôme commercial. Les auteures ont eu l’opportunité de le présenter dans le cadre du colloque international « Diversité et réussiteS dans l’enseignement supérieur » à Nantes en avril 2024. Nos propos s'articulent en quatre points : la description du contexte, la formulation de la problématique, la description du dispositif et de son bilan en termes de réussite.

1. Contexte pédagogique

Le dispositif dont il va être question est mis en place par deux enseignantes habituées à travailler en duo depuis une vingtaine d'années. Les développements qui suivent concernent plus particulièrement leur dispositif pédagogique mis en place depuis septembre 2019 et qui est conçu sous forme de parcours individualisé d’acquisition de compétences.

Elles enseignent auprès d’un public d’étudiants suivant un cursus commercial dans le cadre du Bachelor Universitaire de Technologie « Techniques de Commercialisation », diplôme de grade licence. Le cadrage national de la réforme qui a transformé les DUT en BUT a imposé une approche par compétences pour ce diplôme⁴. Le public concerné rassemble des étudiants divers en raison de leurs origines géographiques, sociodémographiques, de leur passé scolaire, de leur bac, de leur statut (formation initiale, formation en alternance, étudiants à profils spécifiques) et de leur rencontre avec la matière enseignée compte tenu de bacs différents. À titre indicatif, 50 % des étudiants de la promotion rentrée en septembre 2021 ont un baccalauréat technologique et 27 % sont boursiers. En ce qui concerne leur origine géographique, 12 % ont obtenu leur baccalauréat en dehors de la Région Nouvelle Aquitaine, et 20 % en Nouvelle Aquitaine⁵ mais en dehors du département de la Gironde. Or le fait de quitter leur famille peut fragiliser certains de ces étudiants en générant un isolement (Pernin, 2022). Quant à ceux qui sont girondins, 30 % ne résident pas dans la métropole bordelaise et sont donc plus particulièrement confrontés à des problèmes de transports. Rappelons que pour beaucoup d’étudiants, l’inscription à l’université s’accompagne d’une perte de repères temporels ou d’un changement d’espace de vie susceptibles de créer des fragilités (David & Melnik-Olive, 2014). Enfin, on constate également 8 % d’étudiants en alternance et 5 % non primo-entrants à l’université. Si ces éléments ne sont pas statistiquement significatifs, ils engendrent quand même une diversité dans les parcours individuels d’apprentissage.

2. Problématique : comment accompagner aux réussites ?

De manière générale, les étudiants concernés par ce dispositif arrivent directement du lycée et traversent à ce titre une phase d'adaptation (Shankland, 2009). Ils doivent gérer conjointement leur autonomie personnelle dans leur vie quotidienne et leurs études et pour beaucoup l'éloignement de leur structure familiale. En réponse à cela, le plan Réussite en Licence a été lancé fin 2007 en France.

Toutefois, il n’a pas toujours réussi à atteindre ses objectifs. « Ainsi, beaucoup d'étudiants à l’entrée de l’université ne maîtrisent pas la capacité à adopter une posture réflexive de gestion de leurs processus mentaux, et à analyser et à réguler leur propre cognition, facteur reconnu important pour la réussite. » (Bournaud & Pamphile, 2021)

Par ailleurs, la matière dont il est ici question – Fondamentaux du marketing et comportement du consommateur – constitue l'une des ressources les plus importantes, en termes de volume horaire et de coefficients pour la validation de l’une des trois compétences principales⁶ du diplôme préparé : Marketer, Vendre, Communiquer. En effet, la compétence « marketer » est présente sur les six semestres de la formation. Une compétence est un « savoir-agir complexe, prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources à l’intérieur d’une famille de situations » (Tardif, 2006). Les ressources désignent ici les savoirs, savoir-faire et savoir-être dont dispose un individu et qui lui permettent de mettre en œuvre la compétence.

Adaptation à un nouveau contexte personnel, acquisition d’une méthode de travail et validation d’une compétence principale : tels sont donc les enjeux des réussites pour les étudiants auxquels est proposé le dispositif décrit.

Pour s’y adapter, les enseignantes ont choisi dès 2013 de mettre en place une pédagogie inversée⁷ et d’accompagner en présentiel en formulant des rétroactions orales auprès des étudiants de manière à la fois individualisée (pas de travail en groupe) et personnalisée (adaptée au rythme et aux choix personnels de chaque étudiant). A partir de 2019, des rétroactions écrites systématiques sur les travaux en construction des étudiants ont été ajoutées entre les séances en présentiel. En 2021, la transformation du DUT en BUT que nous avons présentée en introduction a confirmé la nécessité de ces feedbacks pour renforcer l’acquisition de compétences.

3. Caractéristiques principales du dispositif : un environnement d’apprentissage capacitant

Le dispositif consiste à demander à chaque étudiant de choisir son objet d’étude nommé Produit Fil Rouge (PFR). Compte tenu de la discipline enseignée, le marketing, il est indiqué de choisir un objet, nommé produit fil rouge, en lien avec les centres d’intérêt personnel ou professionnel. Cet objet (bien ou service) servira de « prétexte » d’apprentissage puisque chaque étudiant appliquera tout au long de l’année les concepts théoriques à ce dernier. Cela lui permettra d’appliquer ses connaissances à cet objet pour acquérir des compétences. Les exemples d’objets imaginés par les étudiants (cf. tableau n°1) sont en lien le plus souvent avec leurs préoccupations.

3.1. Un environnement d’apprentissage accessible à tous

Les ressources théoriques destinées à être mobilisées dans le cadre de cette situation d’apprentissage sont mises à disposition des étudiants. La promotion (n=150 environ) répartie en six groupes de TD bénéficie d’une pédagogie inversée : un environnement numérique d’apprentissage préparé en amont du cours leur procure non seulement un accès aux supports de cours (vidéo, PowerPoint, scripts) mais également à des modes opératoires tels que ceux qui sont mis à la disposition des étudiants sur le site du Produit Fil Rouge, des conseils de réalisation et des grilles d’évaluation. On trouvera le détail de cette méthode pédagogique – que nous appelons Produit Fil Rouge (PFR) – sur le site pfrproduitfilrouge.com (annexe n°1).

Les ressources théoriques mises à disposition dans le cadre d’une pédagogie active inversée, sont travaillées en autonomie par les étudiants en amont des séances en présence. Ce travail personnel préparatoire asynchrone des étudiants est estimé à 3 heures hebdomadaires en moyenne. Pendant les séances de TD animées en présence, à raison de 4 heures par semaine sur un semestre, les étudiants choisissent de se faire accompagner ou non dans l’application des concepts théoriques à leur produit fil rouge. Chacun progresse à son rythme et réalise les travaux demandés à l’aide des éléments mis en ligne (ressources théoriques et conseils) et des questions posées aux enseignantes.

3.2. Un environnement d’accompagnement adapté au rythme individuel

Le parcours qui est proposé est décomposé en étapes. Chacune d’entre elles correspond à un objectif d’acquis d’apprentissage précis (annexe n°4). Le principe même de ces étapes permet à chaque étudiant de progresser dans le respect de son rythme individuel. Tout au long de ce dispositif, chaque étudiant est accompagné individuellement lors de TD de deux heures en présentiel.

Les auteures ont conçu un système introduisant des rétroactions régulières et écrites entre deux séances de TD en présentiel. Ces rétroactions portent sur les travaux attendus par les étudiants. Chacun de ces livrables correspond à un objectif d’acquis d’apprentissage précis communiqué aux étudiants (annexe n°4). À la fin du TD en présentiel, les étudiants qui le souhaitent envoient par mail le travail qui correspond à l’étape à laquelle ils se trouvent. Les rétroactions sont communiquées via un fichier partagé : il peut s'agir de la validation de ce qui a été proposé ou de remarques permettant de l’améliorer en rouge ou en vert (annexe n°2).

L’écriture de retours laisse une trace à l’étudiant qui peut alors les consulter et les prendre en compte au moment où il en a besoin.

4. Bilan critique

De manière générale, les enquêtes de satisfaction régulières (réalisées entre 2018 et 2023)⁸ ont montré que cette mise en situation authentique individuelle et autonomisante constitue un dispositif apprécié par les étudiants. En effet, 80 % d’entre eux se déclarent « satisfaits ou très satisfaits » par l’organisation de l’enseignement et 82 % déclarent avoir acquis « de nouvelles compétences ou connaissances ».

Nous avons également comparé les résultats depuis l’organisation pédagogique de notre enseignement sous forme de parcours à partir de la rentrée 2019.

Pour ce faire, nous n’avons pas choisi la moyenne obtenue comme indicateur de réussite. En effet, la note est plutôt un indicateur des connaissances que l’étudiant est capable de mobiliser. Or, dans une approche par compétence l’évaluation nécessite de recueillir des preuves d’apprentissage (Tardif, 2017). Nous avons donc choisi de comparer le nombre d’étudiants en dessous de 10/20. En effet nous considérons que cette note représente le seuil de validation en dessous duquel les étudiants n’ont pas fait preuve d’un apprentissage suffisant pour que nous validions la compétence évaluée.

La citation tirée d’un verbatim spontané de l'enquête 2023 représente en synthèse les observations proposées dans le tableau n°1 : « Un enseignement différent de la "normale" mais beaucoup mieux pour réussir et apprendre pour les personnes motivées à progresser »⁹. En effet, à la fin de notre enseignement sous forme classique en 2018, 74 étudiants sur 138 ont obtenu une note supérieure ou égale à 10 sur 20 (soit un taux de réussite de 53,7 %). À partir de 2019, début de notre dispositif sous forme de parcours, ce pourcentage de réussite reste supérieur à 80 %, comme indiqué dans le tableau ci-dessous :

À la fin de notre enseignement sous forme classique en 2018, 74 étudiants sur 138 ont obtenu une note supérieure ou égale à 10 sur 20 (soit un taux de réussite de 53,7 %). À partir de 2019, début de notre dispositif sous forme de parcours, ce pourcentage de réussite reste supérieur à 80 %, comme indiqué dans le tableau ci-dessus. Précisons que dans le cadre du dispositif de parcours, les attendus pédagogiques sont exactement les mêmes qu’en 2018. Ils ont seulement été dissociés en étape au lieu d’être regroupés dans un seul livrable de fin de semestre. La grille d’évaluation communiquée aux étudiants est restée identique.

Nous avons comparé le nombre d’étudiants en échec dans la matière enseignée et le nombre d’étudiants n’ayant pas validé leur année de formation. Nous avons constaté que la proportion d’étudiants en échec issus de bac technologique est de 65 % dans la matière enseignée alors qu’elle est de 85 % en ce qui concerne la validation de l’année. Cela atteste du fait que l'écart de réussite entre les titulaires de bacs technologiques et de bacs généraux est plus faible dans le cas de notre dispositif. À la lumière de ce constat, nous pouvons penser que le dispositif déployé en marketing accompagne mieux les étudiants aux réussites.

À propos de l’adéquation du dispositif mis en place avec leur situation personnelle, nous avons questionné les étudiants en novembre 2023. Il ressort que 94 % (149 étudiants interrogés) d’entre eux indiquent être d’accord ou tout à fait d’accord avec le fait que « ce dispositif me permet de réussir en marketing en tenant compte des spécificités de mon parcours scolaire avant l’entrée en formation dans le cadre du BUT Techniques de Commercialisation ». Le score est de 91 % avec l’affirmation suivante : « Ce dispositif me permet de réussir en marketing en tenant compte des spécificités de ma vie d'étudiant·e (temps de transport, accès internet, job en parallèle, etc.) ».

De manière plus qualitative, ce dispositif permet chaque année d’intégrer à leur rythme les étudiants à besoins spécifiques (étudiants en situation de handicap, sportifs de haut niveau, artistes confirmés, élus étudiants, etc.)¹⁰.

Conclusion : un dispositif généralisable

Cette méthode d'apprentissage est très pertinente pour développer les compétences attendues au rythme de l’étudiant. Il serait très intéressant de l'adapter à d'autres matières. Cette réflexion tirée d’une réponse d’ordre qualitatif de l’enquête 2023 suggère de s’intéresser à la possibilité de sa généralisation. Du point de vue des auteures, il n’y a pas de conditions liées à la discipline enseignée. Cependant, la mise en place de ce dispositif nécessite que soient définis clairement les différents acquis d’apprentissage, qui représentent les étapes du parcours. Ceci suppose que l'enseignant qui organise le dispositif soit dans une logique d’alignement pédagogique. Les objectifs d’apprentissage visés dans ce dispositif relèvent du domaine cognitif selon la taxonomie de Bloom et al. (1956). Ils concernent l’application, apprentissage considéré comme intermédiaire. L'accent est mis ici sur le développement de compétences et la mise en relation de la théorie avec la pratique. Ainsi, à la fin d’une séquence pédagogique liée à une thématique, l’étudiant doit être capable de mettre en relation ses connaissances pour les utiliser dans une situation précise en lien avec son objet d’étude (son PFR). L’alignement pédagogique dont il est question ici vise à garantir, selon la définition de Biggs (1996), une adéquation entre les objectifs d’apprentissage, les activités d’apprentissage et d’évaluation.

Ainsi, sur l’espace numérique d’apprentissage mis à disposition des étudiants, une présentation visuelle des composantes préalablement mentionnées apparaît sous forme d’infographie (annexe n°4).

Il faut également souligner que la rétroaction au rythme de l'étudiant requiert du travail en amont, c’est une régularité d’évaluation qui est extrêmement chronophage. Les rétroactions ont lieu deux fois par semaine et nécessitent en moyenne deux heures de correction par enseignante et une heure d’harmonisation. Cela représente donc en moyenne 10 heures d'évaluation.

Finalement, les conditions nous paraissent davantage liées aux choix pédagogiques de l'enseignant et à sa volonté de pratiquer une pédagogie active qui le place dans une posture non-transmissive.

Annexes

Annexe 1. Représentation graphique et interactive du parcours d’acquisition de compétences

Accéder au site en cliquant sur ce lien.

Annexe 2. Exemple de feedbacks individualisés

Cette copie d’écran est extraite du fichier partagé des feedbacks. Le parcours complet est indiqué dans l’annexe 1. Les cases vertes indiquent que les livrables ont été validés¹¹. 12 est la note obtenue par l’étudiant. Elle témoigne de l’individualisation des parcours :

• Éric Dupont a remis successivement deux travaux. Le premier a été validé, le second fait l’objet de feedbacks.
• Dominique Martin a opté pour un parcours sans feedbacks, puisque les étudiants choisissent de se faire accompagner ou non.
• Jules Durand a rendu trois travaux, les deux premiers ont été validés, le troisième fait l’objet de feedbacks.

Éric et Jules n’ont pas remis leurs travaux en même temps puisque chacun travaille à son rythme.

Annexe 3. Exemples de questions

Indiquez votre niveau de satisfaction (1 Non, pas du tout satisfait - 2 Non, plutôt pas - 3 Ni oui, ni non - 4 Oui, plutôt - 5 Oui, tout à fait).

• vis-à-vis de l’activité pédagogique réalisée en marketing
• vis-à-vis du contenu des supports
• vis-à-vis de la qualité des supports
• vis-à-vis de la manière dont l’activité a été menée

Indiquez votre appréciation par rapport à l’affirmation « J’ai acquis de nouvelles connaissances/compétences » votre niveau de satisfaction vis-à-vis de l’activité pédagogique réalisée en marketing.

(1 Non, pas du tout satisfait - 2 Non, plutôt pas - 3 Ni oui, ni non - 4 Oui, plutôt - 5 Oui, tout à fait).

Annexe 4. Exemple d’objectif d’apprentissage