Transformation numérique : comment enseigner (avec) l'IA générative dans l’enseignement supérieur ?
Les études et les discours sur l’intelligence artificielle générative (IAG) foisonnent au sein de la noosphère, notamment depuis l’apparition de ChatGPT. On ne compte plus les articles qui alarment quant aux possibles usages de tels outils, notamment par les étudiants dans le cadre de leurs apprentissages. Cet article apporte une nouvelle couleur au débat, en tentant de réconcilier ceux qui perçoivent cette transformation numérique comme une menace et ceux qui y voient l’opportunité d’un apprentissage enrichi. Accompagner les étudiants à l’intégration des IAG dans leurs pratiques devient une priorité, en les aidant à développer une posture réflexive, éthique, responsable et critique à l’égard de leur utilisation.
Introduction
Dans le paysage académique actuel, la transformation numérique est passée d’une option à une nécessité. Confrontées à cette nouvelle ère, les universités françaises ont élaboré diverses stratégies, projets et outils. Au cœur de ce changement, l’Université de Haute-Alsace (UHA) avec son projet DémoUHA (DémoES PIA France 2030), démontre son engagement à numériser les processus métiers et à améliorer l’environnement numérique de l’établissement (Kern & Forestier, 2022). L’approche numérique responsable et l’hybridation de l’offre de formation sont les leviers clés de cette transformation. Ce processus nécessite d’adapter l’offre de formation sous différents formats (p.ex., synchrone, asynchrone, multimodal) et de moderniser les pratiques pédagogiques dans un contexte d’évolutions technologiques rapides. Dans le cadre du projet DémoUHA, nous avons mené une expérience avec les étudiants de Master en sciences de l’éducation. Cette expérience, menée conjointement par un chargé d’enseignement et une ingénieure pédagogique, visait à intégrer des technologies d’intelligence artificielle générative (IAG) dans l’enseignement et avec ceci d’encourager une posture réflexive, responsable et critique des étudiants vis-à-vis de leur utilisation.
Cet article aborde l’intégration de ces technologies dans l’apprentissage et les transformations pédagogiques qu’elles entraînent sur le plan didactique, pédagogique et docimologique. L’évaluation des apprentissages dans le contexte de l’utilisation des IAG par les étudiants soulève également des questions importantes et présente un défi majeur. Le monde de l’éducation, et en particulier celui de l’enseignement supérieur, est animé par des débats intenses sur le rôle de l’IAG : celle-ci est perçue par certains comme une menace et par d’autres - comme une opportunité. Nous souhaitons à travers cette étude, réconcilier les deux visions et proposer une approche équilibrée, éthique et responsable de l’usage de l’IA dans l’enseignement supérieur.
Ces tendances nous ont aidé à formuler les questions suivantes : combien d’étudiants ou d’enseignants utilisent le Chat GPT ou d’autres IAG ? À quelle fréquence ? Quels sont les effets sur les apprentissages, l’évaluation ? Ces questions nous ont guidé dans notre expérience. Notre étude a impliqué non seulement d’interroger les étudiants sur leur utilisation globale des outils numériques, mais également de recueillir leurs perceptions de ces outils. Pour essayer de répondre aux questions qui ont guidé notre étude, nous exposerons dans la première section le cadre théorique, établirons les fondements conceptuels de la transformation numérique dans l’enseignement supérieur et de l’émergence des technologies d’IAG. Dans la seconde section, nous relèverons les défis et les opportunités sur le plan pédagogique et décrirons l’application pratique de ces technologies en cours. La troisième section présentera notre méthodologie, suivie des résultats de l’étude, une discussion et une conclusion.
1. Cadre théorique
1.1. La transformation numérique dans l’enseignement supérieur : tension entre évolutions technologiques et pratiques
Comme le soulignent Mocquet (2019) et Crosse (2023), la transformation numérique redéfinit les paradigmes éducatifs sur les plans organisationnel, technologique et pédagogique. Elle impactera sans doute les orientations actuelles et futures des organisations d’enseignement. Cette transformation est perçue comme une (r)évolution majeure, transcendant la simple adoption technologique pour influencer profondément les services, les composantes et les pratiques d’enseignement. Padoan (2016)
L’éducation, bien que toujours en évolution, a traditionnellement adhéré à des principes didactiques et pédagogiques éprouvés, s’adaptant graduellement aux avancées sociétales et technologiques. Cependant, la pandémie de Covid-19 a marqué un tournant radical des usages numériques. Le confinement soudain a exigé une transition rapide et sans précédent de l’enseignement traditionnel vers des formats à distance et une utilisation accrue des outils et technologies numériques. Fleck et Audran (2016) pointent un obstacle notable qui réside dans le fait que de nombreuses interfaces et modalités d’interaction homme-machine utilisées en éducation (telles que les PC, tablettes, tableaux blancs interactifs) n’étaient pas initialement conçues pour l’apprentissage, mais plutôt pour le travail et le divertissement. Selon les auteurs, bien que ces technologies offrent la possibilité d’enrichir le développement des connaissances et des compétences en introduisant de nouvelles pratiques pédagogiques, elles peuvent aussi transformer significativement les interactions humaines, l’environnement et le savoir. Par conséquent, la transformation numérique exige une approche de conception différente, adaptée spécifiquement à l’apprentissage.
L’émergence des technologies d’IAG illustre l’urgence d’une transformation numérique qui toucherait les aspects organisationnels, sociaux et pédagogiques de l’enseignement supérieur. L’accompagnement des étudiants et des enseignants à l’utilisation des IAG devient une composante cruciale de l’éducation. Au-delà du développement de compétences techniques, il est impératif d’adopter une approche réflexive, responsable et critique vis-à-vis de l’utilisation de ces technologies.
Comme nous renseignent Kern et Forestier (2022), face à cette évolution rapide, les universités, et notamment celles s’alignant sur le modèle humboldtien (il y existe un lien fondamental entre recherche et enseignement) largement répandu en Europe, se heurtent à un défi majeur (Ibid.). Contrairement aux établissements où le formateur se concentre principalement sur l’étudiant, dans les universités, les enseignants-chercheurs et les étudiants se dévouent à la science et l’acquisition des savoirs savants. Cette approche affecte profondément la dynamique entre enseignants et étudiants, où leur relation est intrinsèquement liée aux savoirs académiques (Ibid.). Dans cette optique, l’enseignant-chercheur et l’étudiant collaborent à la construction d’un savoir académique, caractérisé par son statut perpétuellement en évolution. Ainsi, la réfutabilité des connaissances de Popper (1963) est un principe épistémologique fondamental dans les universités européennes. Cette vision de l’enseignement universitaire se distingue nettement des autres formes d’institutions d’enseignement supérieur comme les Grandes écoles, Instituts de formation supérieure, écoles professionnelles, et Edtech (Educational Technology). L’université est, par essence, le temple du « savoir savant » dont le but est d’une part de produire des savoirs scientifiques par la recherche, et d’autre part, de garantir la transmission de ces savoirs.
L’accessibilité croissante à des technologies d’information toujours plus performantes transformera inévitablement la manière dont les savoirs sont abordés dans l’enseignement supérieur. Cette évolution entraînera une refonte des méthodes d’enseignement et des approches pédagogiques. Face à ce changement, il devient primordial pour les universités, dans le cadre des évaluations pédagogiques des étudiants, de se concentrer sur la métacognition, c’est-à-dire sur les processus d’apprentissage. Il s’agit aussi de développer les compétences nécessaires pour évaluer, analyser et proposer une critique constructive des contenus générés par l’IA, afin d’en tirer un bénéfice tant personnel que professionnel. Ce défi n’implique pas tant une transformation du modèle organisationnel universitaire comme peuvent le percevoir certains, mais plutôt un changement de posture vis-à-vis de l’apprentissage. La transformation numérique, marquée par l’émergence de l’IA dans l’enseignement supérieur, pourrait être envisagée comme une opportunité pour les universités d’optimiser les processus d’apprentissage.
1.2. Intelligence artificielle et éducation : opportunités et critiques
L’avènement de l’IA dans l’enseignement universitaire transforme le rôle des enseignants, redéfinit la nature de l’apprentissage et remodèle l’infrastructure éducative. Afin de comprendre comment cette invention transforme le domaine de l’éducation, il est important de saisir son fonctionnement. Pour définir l’IA, Chen et al. (2020) reprennent les paroles de Coppin (2004)
Quant aux IAG, le rapport d’orientation stratégique du Cigref 2023 les définit comme des algorithmes avancés d’IA et de Machine Learning qui se distinguent par leur capacité à utiliser du contenu existant pour leur apprentissage, leur permettant ainsi de créer à leur tour de nouveaux contenus. Ces modèles ont été formés à la base d’immenses corpus de texte ce qui en résultat leur permet de traiter des requêtes sur différents sujets. Leur efficacité repose sur des techniques d'apprentissage auto-supervisé (méthode cruciale pour la compréhension contextuelle et la génération de texte), des mécanismes de retour utilisateur, des méthodes d’apprentissage à partir des interactions directes avec les utilisateurs et celles de compréhension de la langue naturelle.
Ces technologies sont capables de générer de manière autonome une diversité de produits tels que textes, images, musique, et jusqu’aux codes de programmation informatique. Au-delà de cette capacité de création, les IAG jouent un rôle crucial dans le traitement de tâches répétitives et l’analyse de volumes considérables de données complexes, ce qui les rend particulièrement utiles dans divers contextes et applications. Ces fonctionnalités peuvent s’avérer utiles dans les apprentissages : elles permettent d’améliorer la qualité de la recherche et des projets étudiants (structurer leurs idées, trouver des sources pertinentes, et même formuler des arguments plus cohérents) et sa capacité d’analyser rapidement de vastes ensembles de données, peut aider ainsi les étudiants à identifier des tendances ou des pistes pertinentes.
Chen et al. (2020) partagent l’idée selon laquelle l’utilisation de l’IAG dans l’éducation a un apport important en termes d’efficacité d’apprentissages et d’organisation du contenu. Les IAG rendent possible l’élaboration des ressources éducatives qui s’adaptent aux besoins et niveau de compréhension de chaque étudiant. Elles peuvent également être utilisées pour la création des tuteurs intelligents, chatbots ou cobots (Ibid.). Ces tuteurs virtuels personnalisés fournissent des explications adaptées, génèrent des exemples pertinents et proposent des exercices de révision en fonction du niveau de chaque étudiant. Et ce qui est le plus important, grâce à la capacité à traiter le langage naturel, ils peuvent répondre aux étudiants en temps réel, et constituent ainsi un soutien pédagogique immédiat et accessible. Ces fonctionnalités des IAG peuvent être intégrées par des plateformes numériques éducatives (Ibid.). Ainsi, les IAG rendent l’apprentissage plus interactif et dynamique.
Malgré ces bénéfices possibles, l’application des IA dans l’éducation suscite quelques critiques. Notamment concernant leur impact sur l’authenticité et l’intégrité académique. Certains chercheurs considèrent que les IAG facilitent les pratiques de plagiat (Chen et al., 2020). En outre, nous pouvons évoquer d’une part la possibilité d’une érosion progressive de l’expertise humaine sur le plan technique et d’autre part, une réduction possible de la diversité de perspectives éducatives. En ce qui concerne les sciences humaines, les modèles de l’IA ne sont pas toujours en mesure de saisir la complexité de certaines idées et leurs nuances. Les IA peuvent également être source d’imprécisions quand il s’agit de la maîtrise des langues (Bentaleb, 2023). L’application de l’évaluation automatisée dans ces domaines est susceptible de privilégier les réponses formatées et défavoriser la créativité des étudiants (Ibid.). D’autre part, on peut évoquer également la question de la confidentialité et la sécurité des données collectées pendant les activités éducatives.
2. Étude de cas : description de l’expérience
2.1. Contexte et intentions de l’expérience
Menée dans le cadre d’un cours sur la sociologie des organisations en Master en sciences de l’éducation à l’UHA, notre expérience visait à mettre en lumière le lien entre les théories de la transformation numérique et leur application pratique. Le cours, d’une durée de 18 heures répartie sur environ un mois et demi, a été le théâtre d’une démarche pédagogique novatrice : un enseignant et une ingénieure pédagogique ont mis en synergie leurs expertises respectives. Ce partenariat, comme nous renseigne Laurillard (2012), permet de combiner l’expertise pédagogique et technologique, offrant ainsi une expérience d’apprentissage enrichie. Inspiré de l’approche socioconstructiviste (Vygotsky, 1980), nous avons essayé de mettre l’accent sur la construction collaborative dans la conception et l’animation des séquences pédagogiques. L’enseignant s’est concentré sur les aspects didactiques et pédagogiques, tandis que l’ingénieure pédagogique a pris en charge les aspects techno-pédagogiques.
Notre objectif était de dépasser les limites de l’enseignement traditionnel en rendant le cours plus accessible à distance et plus engageant pour les étudiants. Nous avons visé à optimiser les méthodes d’enseignement en exploitant les technologies numériques, alignant notre démarche avec les principes du connectivisme (Siemens, 2005). Cette théorie met en lumière le rôle crucial de la technologie dans les interactions enrichissantes pour l’étudiant. Ainsi, notre expérience a transformé un cours traditionnellement en présentiel en un environnement d’apprentissage numérique, interactif, enrichi par des outils tels que Miro, Genially, Wooclap, ainsi que des IAG, comme Bard
2.2. Mise en œuvre : utilisation de l’IA dans les séances pédagogiques
Il est primordial de concevoir des approches pédagogiques et des directives institutionnelles qui incorporent l’utilisation de l’IA, tout en veillant à préserver l’intégrité académique. Nous considérons que les étudiants devraient être formés à une utilisation de l’IA à la fois éthique, responsable et innovante, et ceci en complément et non en substitution de leur propre effort intellectuel. Notre approche s’inscrit dans une perspective de transformation numérique responsable et éthique, soulignant l’importance de l’intégration des technologies, en accord avec Johnson et al. (2016), Beetham et Sharpe (2019). Dans cette optique, nous avons initialement sondé les étudiants sur leur perception des outils numériques, en particulier des IAG avec un questionnaire interactif et collaboratif via l’application Wooclap (nous y reviendrons plus en détail dans la section suivante). Les réponses recueillies ont permis une meilleure compréhension des attentes des étudiants ainsi que de leur intérêt pour les technologies dans l’apprentissage. Elles nous ont surtout permis de choisir les outils. Outre l’emploi d’outils numériques tels que Wooclap pour la création de quiz interactifs, Miro pour la conception de cartes mentales, et Moodle pour la création d’un environnement d’apprentissage virtuel, nous avons également envisagé d’accompagner les étudiants à l’utilisation des IAG. Nous avons consacré une partie du cours à l’appropriation des savoirs, tandis que l’autre partie se concentrait sur l’accompagnement à l’utilisation des outils numériques, en accord avec les recommandations de Bates (2015).
Dans la première phase, nous avons présenté un état de l’art sur l’IAG, selon les recommandations de Conole (2013). Cette présentation a permis aux étudiants de comprendre les enjeux, défis et opportunités associés à l’IAG dans les sciences de l’éducation. La phase d’exploration a offert aux étudiants l’opportunité de découvrir la diversité des outils d’IAG, répondant à la nécessité de l’expérimentation pratique, soulignée par Beetham et Sharpe (2019). Cette phase a inclus l’utilisation de diverses applications d’IAG pour générer des contenus textuels, des images, vidéos, diapositives, podcasts et musique. L’accompagnement sur les méthodes d’utilisation des IAG a mis l’accent sur le « prompting » ou « prompt engineering ». Cette compétence, qui implique la formulation d’instructions en langage naturel, est cruciale pour une utilisation des IAG. Enfin, les exercices ont permis aux étudiants de mettre en pratique leurs compétences. Conformément aux recommandations de Selwyn (2013), nous avons encouragé une posture critique, réflexive et évaluative pour appréhender les problématiques telles que les fausses références, les biais et les erreurs dans les contenus produits par les IAG.
Dans le cadre de l’évaluation sommative, nous avons élaboré un exercice privilégiant le travail collaboratif : les étudiants étaient invités à conduire une analyse systémique approfondie d’une organisation de leur choix. Cette évaluation impliquait non seulement une présentation orale des résultats, mais également une intégration pertinente des connaissances théoriques et compétences techniques acquises. Les participants étaient encouragés à produire une variété de livrables, comprenant des textes et supports visuels, en exploitant les outils numériques découverts durant le cours. Cet exercice visait à favoriser l’application concrète des concepts abordés et à stimuler la créativité des étudiants. L’élément clé de cette démarche était l’utilisation d’une ou plusieurs IAG. Les étudiants devaient démontrer leur capacité à instruire l’IA via des requêtes spécifiques, en présentant les captures d’écran de leurs interactions. Ils devaient également expliquer leurs démarches en évaluant les avantages et inconvénients de l’usage de l’IAG. D’un point de vue docimologique, notre démarche représentait une évolution notable dans nos pratiques d’évaluation : au lieu de se concentrer exclusivement sur l’évaluation des savoirs, connaissances et compétences, nous avons privilégié une approche centrée sur la métacognition. Elle a également montré aux étudiants la nécessité de comprendre non seulement ce qu’ils apprennent, mais aussi comment ils apprennent, en mettant en avant l’importance de la métacognition.
Notre expérience s’inscrit dans les tendances contemporaines de l’éducation, mettant en lumière l’importance accrue du développement de compétences suivantes : l’analyse critique, la résolution de problèmes complexes et la réflexion métacognitive, comme le suggèrent Paul et Elder (2006). Selon les auteurs, l’analyse critique est cruciale dans le contexte de l’évolution technologique constante. Elle permet aux étudiants de ne pas seulement assimiler l’information, mais de l’examiner, évaluer sa validité, sa pertinence et son objectivité (Ibid.). Ceci est particulièrement pertinent dans l’utilisation de l’IAG, où les étudiants doivent être capables d’évaluer de manière critique les informations produites et reconnaitre les biais potentiels et les limites de cette technologie. La résolution de problèmes complexes, quant à elle, est la compétence clé dans un monde où les défis sont rarement isolés. Ainsi, notre approche intégrant l’IA dans des scénarios complexes, a encouragé les étudiants à aborder des problèmes sous plusieurs angles. Elle est conforme aux recommandations de Jonassen (2000) qui souligne l’importance de la résolution de problèmes complexes dans l’éducation postmoderne, mettant l’accent sur le développement d’une pensée systémique. La réflexion métacognitive, définie comme la capacité à analyser sa propre pensée, constitue un pilier fondamental de l’apprentissage autonome et continu, en accord avec les travaux de Flavell (1979). En encourageant les étudiants à s’engager dans un processus d’auto-évaluation, nous favorisons un développement continu, indispensable aujourd’hui. In fine, les compétences développées ne se limitent pas à un contexte purement académique, mais sont également transférables et essentielles dans de multiples aspects de la vie professionnelle et personnelle.
3. Méthodologie
3.1. Approche épistémologique et méthodologique
Notre approche épistémologique, ancrée dans le constructivisme, puise dans le courant philosophique pragmatique de William James et John Dewey (Commetti, 2010), notamment dans l’école sociologique de Chicago (Coulon, 2012). Notre démarche s’inscrivit dans une logique apostérioriste et inductive de la recherche qui consistait à extraire du sens de ces expériences en collectant progressivement des données, sans formuler au préalable d’hypothèses ou objectifs de recherche spécifiques (Pourtois & Desmet, 1997 ; Charmaz, 2014). En adoptant cette perspective, nous soulignons l’importance de l’expérimentation, de l’interaction active avec le sujet d’étude et de l’évolution continue des interprétations (Charmaz, 2014). Notre recherche s’engage donc dans un processus de création de sens, visant à relier les observations empiriques aux implications pratiques et contextuelles (Ibid.). Nous privilégions ainsi une méthodologie de recherche qualitative, axée sur des données non quantifiables (mots, récits, images, interactions), permettant de saisir la réalité à travers une approche inductive et contextuelle (Creswell & Creswell, 2017). Cette méthodologie présuppose une valorisation de la subjectivité, visant une compréhension profonde des phénomènes humains par l’analyse des interactions (Paillé & Mucchielli, 2016). Dans cette perspective, nous nous positionnons dans une forme de recherche pédagogique, conforme à la définition de Paquay et al. (2010), qui implique un travail collaboratif sur le terrain, dans le but d’enrichir et de faire évoluer les pratiques pédagogiques.
3.2. Outils de collecte de données et méthodes d’analyse
Nos instruments de recherche s’inspirent des pratiques de l’ethnométhodologie et de la phénoménologie, concentrant l’analyse sur la signification des actions pour les acteurs impliqués (l’enseignant, l’ingénieure pédagogique
Enfin, notre méthodologie comprenait également une collecte documentaire et l’analyse des travaux de groupe finaux réalisés par les étudiants. Au nombre de six, ces projets représentaient une source riche d’informations, reflétant l’application pratique des concepts abordés et compétences développées tout au long du cours. Cette étape a impliqué un examen des productions étudiantes, permettant de saisir non seulement leurs connaissances théoriques, mais aussi leur capacité à les appliquer dans un contexte collaboratif et créatif.
4. Résultats
4.1. Utilisation et perceptions a priori de l’IAG par les étudiants
L’utilisation du questionnaire exploratoire, complété par un entretien collectif de clarification, a fourni des données préliminaires sur l’utilisation des outils d’IAG par les participants, ainsi que sur leur perception quant à l’utilité de ces technologies dans les sciences de l’éducation. L'administration de ces outils a eu lieu dès la première semaine de cours en septembre 2023. Les réponses recueillies nous ont offert une compréhension du degré d’adoption de ces outils. Cette compréhension est illustrée par les graphiques suivants :
Le premier graphique illustre la connaissance des modèles d’IAG par les participants. La majorité des répondants (84 %) a entendu parler des modèles d’IAG, mais une proportion non négligeable (16 %) les découvre pour la première fois. Cela suggère une familiarité générale avec le sujet, mais pas nécessairement une connaissance approfondie.
Le deuxième graphique montre la fréquence d’utilisation d’outils d’IAG. Une majorité significative des répondants a déjà utilisé au moins une fois des outils basés sur l’IAG (74 % ayant répondu oui au moins une fois). Cependant, l’utilisation fréquente de ces outils n’est pas encore courante (32 % les ont utilisés plusieurs fois), indiquant une adoption modérée de ces technologies dans les milieux étudiants.
Le troisième graphique représente la perception de l’utilité des outils d’IAG pour le parcours en sciences de l’éducation. Une proportion considérable de répondants (47 %) les trouve peu utiles, tandis que seulement 11 % les considèrent extrêmement utiles. Cela pourrait s’expliquer par un manque de compréhension de l’application pratique de ces technologies dans le domaine de l’éducation.
En ce qui concerne leurs besoins et attentes par rapport au cours, nous avons enregistré les réponses sous forme de nuage de mots comme suit :
Le nuage de mots, issu de l’analyse, met en exergue des unités de sens telles que « découvrir », « apprendre », « outils », « méthodes de travail », « nouveaux », « diversifier », « efficience » et « réutilisable ». L’entretien collectif de clarification, quant à lui, a facilité une meilleure compréhension des significations attribuées à ces termes par les étudiants. L’analyse révèle clairement le désir des participants d’élargir leurs compétences, d’explorer, et le besoin d’acquérir une maîtrise pratique des technologies émergentes.
4.2. Retours d’expérience a posteriori de la satisfaction du cours et l’utilisation de l’IA
Le questionnaire de satisfaction que nous avons utilisé était basé sur le modèle Kirkpatrick et comportait essentiellement des questions ouvertes et de la collecte documentaire (analyse des travaux finaux des étudiants) pour comprendre les effets du cours sur les perceptions et les apprentissages des étudiants ainsi que les conditions de réussite. Nous avons utilisé les applications ATLAS.ti et Data Analysis & Report AI
Indicateurs de satisfaction Kirkpatrick | Extraits de verbatims |
Niveau 1 : Réaction | |
Expérience globale | « Plutôt bonne... Intéressante et ludique » |
Engagement et intérêt | « J’ai trouvé le cours particulièrement cool... engagé tout du long » |
Satisfaction globale | « Je suis plutôt satisfaite de ce cours » « Les éléments qui ont pu me marquer sont la découverte de IA de façon globale » |
Utilité perçue | « Le cours m’a permis de familiariser avec les IA... utile pour comprendre le fonctionnement des organisations » |
Niveau 2 : Apprentissage | |
Développement des compétences | « J’ai acquis des compétences comme l’analyse, la réflexion, l’écoute » « J’ai acquis des compétences de communication et d’esprit d’équipe notamment lors des travaux de groupe et de l’oral » « Je suis capable de comprendre les types de structure, leur organisation, leur fonctionnement et leurs objectif » « Une meilleure estime de soi et aisance à l’oral » « Oui j’ai pu donc développer de nouvelles compétences, celle de savoir utiliser correctement une IA » |
Collaboration et cohésion de groupe | « La collaboration avec mes camarades a été fluide et importante... a permis de mieux comprendre le cours » « La collaboration avec mes camarades s’est bien passée, il y a eu une cohésion de groupe » |
Le tableau ci–contre présente un récapitulatif des réponses, soulignant les perceptions et expériences des étudiants liés à l’utilisation de l’IA :
Thèmes principaux | Extrait de verbatims |
Motivation accrue dans le cours grâce à l’IA | « J’étais plus motivé sur la partie de l’utilisation des intelligences artificielles » |
Prise de conscience | « J’ai eu... une prise de conscience des IA génératives sur notre quotidien » |
Compréhension du rôle et de l’utilisation efficace de l’IA | « Acquis le concept des IA, savoir à quoi cela servait, comment les utiliser pour avoir un fonctionnement total » |
Reconnaissance des limites de l’IA et importance de la vérification des conseils donnés par l’IA | « Utilisation de l’IA mais aussi de voir où étaient ses limites. Elle peut donner de bons conseils mais il faut toujours vérifier » |
Engagement dans le cours grâce à l’apprentissage pratique de l’IA et utilisation d’outils spécifiques | « Engagé grâce aux cours sur les IA, appris à utiliser des outils comme Bard |
Utilisation de l’IA dans un contexte éducatif | « Je n’avais jamais utilisé les IA par manque de savoirs dessus mais maintenant je les utilise plus souvent et en plus de la bonne manière car je les ai vraiment approchés grâce à ce cours. J’ai déjà utilisé ChatGPT pour un cours, pour avoir plus d’explication ; pour voir si j’ai bien compris. Mais grâce à ce cours j’utilise de manière plus intelligente » « J’ai pu utiliser les différentes IA dans des autres matières, des contextes différents. J’ai vraiment apprécié ce cours » « Et je sais comment obtenir des informations précise. Lors d’un cours, nous avons reçu un texte avec plusieurs sous-parties assez complexe à comprendre j’ai donc utilisé un bon prompt afin d’obtenir des explications pour mieux comprendre » |
L’analyse des travaux finaux a mis en évidence les perceptions existantes sur les avantages et les limites de l’IA, ainsi que son application dans l’éducation. Le tableau ci-après, en présente un récapitulatif :
Perceptions des avantages de l’IA | Perceptions des limites de l’IA | Perceptions de l’application de l’IA en éducation |
- Augmente la productivité et simplifie les tâches administratives - Améliore la prise de décision grâce à une meilleure analyse des données - Permet une personnalisation des apprentissages | - Limitée dans la prise en compte du contexte global, en particulier dans les situations sociales et relationnelles - Système non infaillible, nécessitant l’usage de l’esprit critique - Utilisation limitée des versions gratuites - Limite la réflexion et diminue la créativité - Crée de la dépendance technologique - Nécessité de former et sensibiliser les utilisateurs à l’utilisation de l’IA | - Analyse et traitement de données - Génère des idées - Utilisation de l’IA pour expliquer et décomposer des concepts complexes, comme l’étude de styles de management |
Les documents montrent une compréhension nuancée des aspects pratiques et des limitations de l’IA dans le contexte éducatif. Ils soulignent l’importance de l’adaptation et de la formation pour une intégration réussie de l’IA dans les environnements éducatifs.
4.3. Hypothèses ancrées à la suite de l’analyse
Les retours d’expérience montrent une évolution des perceptions étudiantes sur l’utilité de l’IA grâce à la formation sur l’usage de l’outil. Ils témoignent également d’une prise de conscience des avantages et limites de l’IA. L’analyse finale souligne la nécessité de sensibiliser et de former à l’IAG pour une intégration réussie dans le domaine éducatif. À partir de ces résultats, nous pouvons proposer les hypothèses suivantes :
- L’adoption modérée de l’IAG en milieu académique peut être attribuée à une familiarité superficielle avec ces technologies.
- La divergence des opinions sur l’utilité de l’IAG indique un besoin de sensibilisation quant à ses applications pratiques dans l’éducation.
- L’intérêt des étudiants pour l’exploration de nouvelles technologies et méthodes d’apprentissage suggère une demande croissante pour une pédagogie diversifiée, intégrant l’IAG.
- Les perceptions des étudiants sur les limites de l’IAG et son application dans l’éducation indiquent que, bien que prometteuse, l’outil doit être utilisé avec discernement et complété par des approches pédagogiques traditionnelles pour être efficace.
Discussion et conclusion
Dans cet article nous avons exploré l’intégration des technologies d’IAG dans l’enseignement supérieur : en nous appuyant sur notre expérience menée dans le cadre du projet DémoUHA dans un cours de sociologie des organisations du Master en Sciences de l’éducation à l’UHA, nous avons examiné comment les technologies d’IAG peuvent être utilisées pour encourager une posture réflexive, responsable et critique des étudiants. Notre étude a démontré l’importance d’une approche équilibrée, pédagogique, éthique et responsable de l’utilisation des IAG dans l’enseignement (Chen et al., 2020). En intégrant ces technologies dans nos pratiques d’enseignement, nous pouvons non seulement améliorer l’engagement des étudiants, mais aussi les préparer au monde professionnel où l’IA joue un rôle de plus en plus important.
Avec cet article, nous souhaitons apporter une modeste contribution à l’avancement des travaux au sujet de l’impact des IAG sur l’éducation. Nous restons néanmoins conscients des limites de cette expérience. Tout d’abord nous tenons à mentionner que cette étude ne prétend aucunement à fournir les résultats généralisables, le nombre de participants étant restreint. D’autant plus, notre approche constructiviste, qualitative et inductive en termes d’épistémologie et méthodologie de recherche, ne vise pas la généralisation des résultats (Creswell & Creswell, 2017 ; Paillé & Mucchielli, 2016 ; Pourtois & Desmet, 1997). C’est pourquoi nous considérons qu’une étude plus exhaustive, de type hypothético-déductif ou abductif (Paillé & Mucchielli, 2016 ; Mucchielli, 2009) et avec un nombre de participants plus conséquent est nécessaire pour vérifier nos résultats. Il serait également important de continuer à explorer les IA et leur apport au domaine de l’éducation, de mesurer comment l’intégration des IA optimise la performance des étudiants par rapports aux méthodes d’enseignement traditionnelles. L’impact des IAG sur la motivation et les résultats académiques devrait être étudié ainsi que la fiabilité de ses évaluations par rapport aux méthodes traditionnelles. La recherche de nouvelles pratiques devrait être menée pour assurer une intégration fluide des IAG dans l’enseignement. Cela devrait également aider à identifier les compétences nécessaires tant chez les enseignants que les étudiants pour que cette intégration soit réussie.
Ces pistes de recherche devraient être poursuivies en tenant compte des implications éthiques de l’utilisation des IA dans l’enseignement supérieur, notamment les questions de biais algorithmique, de confidentialité des données et de transparence. Il est nécessaire de développer des cadres éthiques pour guider l’utilisation responsable des IA dans l’enseignement supérieur.
Notes
- 1. Padoan, I. (2016). Transaction, transition et transformation avec des notes de genre. Pensée plurielle, (41), 5568. Consulté à l’adresse : http://www.cairn.info.ezproxy.univ-perp.fr/resume.php?ID_ARTICLE=PP_041_0055
- 2. Coppin, B. (2004). Artificial Intelligence Illuminated, Boston, MA, USA : Jones and Bartlett.
- 3. Rebaptisé Gemini en février 2024. Références : https://blog.google/products/gemini/bard-gemini-advanced-app/
- 4. L’enseignant et l’ingénieure pédagogique sont également les chercheurs et les auteurs de l’étude encadrés par le Pr. Germain Forestier, professeur en informatique et spécialiste en IA. L’expérience et la recherche ont été menées exclusivement par ces deux personnes, engagées dans le projet DémoUHA (Démonstrateur de l’enseignement supérieur).
- 5. Ces logiciels nous ont permis d'identifier, dans les verbatims, des thèmes ou des codes associés à chaque niveau d'indicateur du modèle Kirkpatrick. C'est la pertinence des réponses fournies dans les verbatims qui est mise en avant dans l'analyse.
- 6. Nous avons retenu que les indicateurs de niveau 1 et 2 du modèle Kirkpatrick pour leur pertinence par rapport à l’étude.
- 7. Rebaptisé Gemini en février 2024. Références : https://blog.google/products/gemini/bard-gemini-advanced-app/
Références
- Bates, A. W. (2015). Teaching in a Digital Age: Guidelines for Designing Teaching and Learning.
- Beetham, H., & Sharpe, R. (2019). Rethinking Pedagogy for a Digital Age.
- Bentaleb, M. (2023). Impacts de l'Intelligence Artificielle sur l'enseignement en Traduction. Cahiers de Traduction, 1(28), 233-245.
- Burns, D. A., & Ciurczak, E. W. (2007). Handbook of Near-infrared Analysis.
- Charmaz, K. (2014). Constructing grounded theory.
- Chen, L., Chen, P., & Lin, Z. (2020). Artificial Intelligence in Education: A Review. IEEE Access, 8, 75264-75278.
- Commetti, J.-P. (2010). Qu'est-ce que le pragmatisme ?
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Résumé
Cet article présente une étude préliminaire sur l'impact de l'intelligence artificielle générative dans l'enseignement supérieur, notamment sur les méthodes pédagogiques. Il discute des défis et opportunités présentés par l'intégration de ces technologies dans les cours universitaires. L'étude souligne que l'IA générative, en modifiant l'accès à l'information et les méthodes d'enseignement, offre un potentiel substantiel pour enrichir l'apprentissage. Cependant, il met également en lumière la nécessité d'une approche équilibrée qui assure une utilisation éthique et efficace de l'IA, tout en soutenant les objectifs pédagogiques fondamentaux et en favorisant une réflexion critique parmi les étudiants.
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