Introduction

Dans l’enseignement supérieur, l'introduction des cours hybrides, qui intègrent à la fois des séquences d'apprentissage en ligne et en présentiel, a ouvert de nouvelles perspectives en termes de flexibilité d’accès aux parcours d'études. Ces parcours d’études hybridés favorisent l'accès à l'enseignement supérieur à tous les étudiants quel que soient leur profil ou leurs contraintes.

Bien que les cours hybrides constituent une opportunité d’action en faveur de la pédagogie universelle (Bergeron et al., 2011) dans l’enseignement supérieur, il convient de reconnaître qu’ils peuvent également présenter de nouveaux obstacles. L’accessibilisation de ces cours, c’est-à-dire, selon Ebersold (2021), la création de conditions nécessaires à l’opérationnalisation des principes revendiqués par l’impératif d’accessibilité renvoie à la capacité d’adapter ceux-ci et de les rendre disponibles pour tous les étudiants, quels que soient leurs besoins éducatifs particuliers. Cela inclut, entre autres, la mise en place de supports pédagogiques accessibles, l'utilisation de technologies appropriées pour faciliter l'accès aux contenus sans pour autant oublier les objectifs d’apprentissage et les obstacles didactiques inhérents à chaque savoir à acquérir.

À travers plusieurs phases itératives, nous avons entrepris l’accessibilisation de l’ensemble des ressources pédagogiques numériques d’un module de formation ainsi que de son environnement numérique. Cette démarche nous a permis de formaliser une méthodologie de mise en accessibilité d’un cours hybride, qui est mise à disposition des enseignants universitaires.

Nous sommes deux ingénieures pédagogiques, l’une est chargée de mission accessibilité numérique au CEMU (Centre d’Enseignement Multimédia Universitaire) qui est le service d’appui à la pédagogie de l’Université de Caen Normandie ; l’autre est l’ingénieure pédagogique de l’action 3 du projet PIA3 – 100 % IDT (Inclusion, un Défi, un Territoire)¹ et est rattachée à l’INSPÉ Normandie Caen. Le retour d’expériences présenté dans cet article est fondé sur notre expertise technique et notre pratique professionnelle en ingénierie pédagogique.

1. Le contexte

Notre travail est fondé sur la définition du handicap selon la Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF), un système de classification développé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). La CIF établit que le handicap ne réside pas seulement dans les déficiences individuelles, mais découle également de l'interaction entre les personnes et leur environnement. Selon la CIF, le handicap résulte d'une interaction dynamique entre plusieurs composantes, que sont :

• Les fonctions corporelles et les structures anatomiques : il s'agit des capacités et des limitations physiques d'une personne, telles que la mobilité, la vision, l'audition, etc.
• Les activités et la participation : cela concerne les actions concrètes que les individus réalisent dans leur quotidien, comme se déplacer, communiquer, se soigner, participer à des activités sociales, éducatives ou professionnelles.
• Les facteurs contextuels : ces facteurs incluent l'environnement physique, social et attitudinal dans lequel évolue une personne ainsi que les facteurs personnels tels que l'âge, le genre, l'éducation, l'expérience, etc.

Dans cette perspective, l'accessibilité joue un rôle crucial. En rendant les environnements physique et numérique plus accessibles, on réduit les obstacles qui peuvent limiter la participation des personnes en situation de handicap. L'accessibilité favorise l'autonomie, la participation sociale et l'égalité des chances pour tous.

1.1. Le cadre réglementaire national et international

Le respect des normes de l’accessibilité numérique relève depuis 2005 d’une obligation réglementaire pour les universités autant que pour l’ensemble des services publics². En matière d’accessibilité numérique, les modalités d’application de la loi de 2005 sont précisées par le décret d’application du 24 juillet 2019 qui permet l’application de sanctions administratives en cas de non-respect de ces applications.

Afin d’accessibiliser les ressources pédagogiques numériques du module de formation, nous nous sommes appuyées sur le RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité)³, référentiel français et les WCAG (Web Content Accessibility Guidelines)⁴ au niveau international. Ces derniers établissent quatre principes fondamentaux pour l'accessibilité des contenus web : la perception, l'utilisabilité, la compréhension et la robustesse.

1.2. Un contexte local favorable

Au sein de l’Université de Caen Normandie, le projet NCU Réussites Plurielles⁵ porté par la ComUE⁶ Normandie Université et dont l’Université de Caen Normandie est partenaire, a pour objectif de permettre et de reconnaître toutes les formes de réussites des étudiants dans leur diversité. Ce projet vient consolider l’engagement de l’Université de Caen Normandie dans le développement de conditions d'études et de formation qui peuvent favoriser la réussite des étudiants en situation de handicap.

D’autre part, le pôle pilote 100 % Inclusion, un Défi, un Territoire (IDT) vise le décloisonnement des territoires éducatifs au service de l’inclusion scolaire dans les régions académiques Hauts-de-France et Normandie. Lauréat de la troisième édition des projets d’investissement d’avenir (PIA3), dont l’Université de Picardie Jules Verne est le porteur. Il regroupe un consortium de quatre universités (Amiens, Caen, Lille et Rouen), trois académies (Normandie, Amiens et Lille), le réseau Canopé⁷ et l’association Ecolhuma⁸. L’Action 3 de ce programme, portée par l’INSPE Normandie Caen, a pour objectif de construire des formations partagées sur la thématique de l’éducation inclusive. Ces formations visent à permettre aux formateurs des Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l'Éducation (INSPÉ) intervenant en Master Métiers de l'Enseignement, de l'Éducation et de la Formation (MEEF) de développer, en formation continue, des compétences sur l’éducation inclusive pour la mettre en œuvre dans leurs propres cours en direction des étudiants mais aussi pour qu'à terme, les étudiants aient la capacité de le faire eux-mêmes dans leur enseignement en milieu scolaire. Dans ce contexte spécifique, il était impératif de produire des modules de formation accessibles numériquement. Cette exigence découle de la cohérence nécessaire avec le défi fondamental du projet 100 % IDT, à savoir l'inclusion de tous les élèves dans leur diversité. Cette démarche s'inscrit également dans l'une des ambitions-clés du projet 100 % IDT : la création d'un pôle d'expertise en ingénierie didactique et pédagogique axé sur l'inclusion.

2. L’accessibilisation de l’environnement numérique

On s'aperçoit que réduire voire supprimer les barrières d’accès aux contenus et ressources numériques permet de répondre aux besoins du plus grand nombre d’étudiants en situation d’apprentissage. Dans notre cas, ces exigences techniques se répartissent en deux niveaux : tout d'abord, l'accessibilité de la plateforme de diffusion des ressources pédagogiques, puis l'accessibilité des contenus (supports et ressources) eux-mêmes. La plateforme pédagogique utilisée pour la diffusion des contenus numériques à l’Université de Caen Normandie est Moodle, qui, dans sa version 4.1, satisfait aux critères des WCAG⁹. Par conséquent, notre attention se portera principalement sur l'accessibilité numérique des ressources pédagogiques et des éléments de guidage qui y sont associés.

Aussi, dans notre démarche de mise en accessibilité, nous avons choisi de procéder par phases d’améliorations successives en mobilisant les retours des usagers en situation de handicap ou non. Et comme « aucune conception ne peut être réalisée de manière isolée¹⁰», ce travail est né et a pu être concrétisé grâce à la collaboration du Relais Handicap Santé de l’Université de Caen Normandie, à l’engagement d’un étudiant malvoyant en licence de droit et aux résultats des évaluations du module de formation soumises aux participants. Riches de tous ces retours, nous avons travaillé par itérations, que nous expliciterons plus loin, pour concevoir un module de formation hybride accessible numériquement.

3. Cas d’application sur un cours hybride

3.1. Démarche

La thématique de l'École inclusive est devenue un enjeu dans la formation initiale des enseignants et personnels éducatifs (Arrêté du 25.11.2020¹¹). Permettre aux formateurs en Master MEEF de développer des compétences sur la thématique de l’éducation inclusive pour la prendre en compte dans leur enseignement en formation initiale est l’une des actions permises par le projet 100 % IDT.

La formation de l’action 3 du projet 100 % IDT a été conçue et développée par des référents universitaires et académiques avec l’accompagnement d’une ingénieure pédagogique. Elle s’intitule « Prendre en compte l’éducation inclusive » et se décline en quatre modules : dans ses formations, au sein de l’équipe pédagogique, dans l’environnement d’un établissement et en tant que personne-ressource. Une première phase de création d’un référentiel de compétences a permis de définir les objectifs pédagogiques de chaque module. Ensuite, un scénario pédagogique a été conçu en respectant l’alignement pédagogique entre les objectifs, les activités proposées et l’évaluation. Le tableau 1 ci-dessous montre un aperçu du scénario pédagogique du module « Prendre en compte l’éducation inclusive dans ses formations » qui s’est déroulé simultanément dans quatre INSPE : Amiens, Caen, Lille et Rouen.

Dans les deux premières versions de ce module, les ressources pédagogiques (fichiers PDF, diaporamas, diaporamas sonorisés, vidéos…) ont été développées :

• en respectant la charte graphique du projet 100 % IDT ;
• en respectant les 10 règles pratiques pour l’accessibilité numérique éditées par le CEMU et issues des RGAA. Ces 10 règles pratiques¹² sont destinées à une diffusion large au sein de l’Université de Caen Normandie. Ce document énonce 10 règles simples à mettre en œuvre pour améliorer l’accessibilité des documents de bureautique ;
• et en faisant apparaître la mention suivante dans l’environnement numérique de l’espace de cours : « si vous rencontrez des difficultés d’accès, n’hésitez pas à nous en faire part, nous ferons notre possible pour répondre à votre besoin : pole-pilote-100idt@u-picardie.fr ».

Pour l’amélioration de l’accessibilité numérique de la troisième version de ce module, nous avons procédé en trois phases successives. La première phase présentée dans le Tableau 2 a fait émerger des besoins relevant plutôt de la conception universelle des apprentissages (CUA)¹³ que de l’accessibilité numérique. Nous avons pris en compte ces premières demandes et y avons apporté des solutions.

3.1.1. Phase 1 : Évaluation par les participants

3.1.2. Phase 2 : Évaluation par des usagers en situation de handicap

La deuxième phase s’est concentrée davantage sur notre objectif principal, à savoir l’accessibilité numérique de ce module auprès de différents publics. Nous avons donc donné accès à l’espace numérique du module à deux collègues du relais handicap de l’Université de Caen Normandie, l’une sourde et l’autre aveugle. Elles nous ont fait part des difficultés auxquelles elles ont été confrontées dans l’appropriation de cet espace de cours. Fortes de leur connaissance des usages numériques des étudiants, nos collègues du relais handicap nous ont encouragées à mener ces mêmes tests avec des étudiants en situation de handicap et plus particulièrement, avec des étudiants aveugles ou malvoyants. En effet, les pratiques numériques des étudiants en situation de handicap sont en constante évolution, cette évolution est en partie due à l'amélioration des technologies d’assistance à leur disposition. Mener ces phases de tests avec des étudiants, confrontés de manière quotidienne à l’utilisation de notre plateforme Moodle nous permet non seulement d’identifier d’éventuelles difficultés d’accès au module sur l’éducation inclusive, mais également de travailler à l’amélioration de l’ergonomie des espaces de cours dans le but de déployer ces améliorations de manière plus vaste à l'échelle de l’établissement. Nous avons été mises en relation avec un étudiant aveugle en licence de droit qui utilise quotidiennement la plateforme pédagogique de l’université. Nous avons donc établi un contrat d’emploi étudiant de courte durée qui s’inscrit dans l’un des axes du projet NCU Réussites Plurielles visant à « faire des emplois étudiants universitaires un facteur de réussite ». Le tableau 3 montre quelques exemples de leurs remarques concernant l’espace numérique du cours ainsi que les solutions que nous avons pu apporter pour améliorer leur expérience utilisateur.

Comme évoqué précédemment, notre objectif est de concevoir des ressources numériques accessibles au plus grand nombre sans nous limiter à une approche centrée sur les troubles ou les pathologies. Cela nous a ainsi conduit, en plus des améliorations apportées, à adapter une ressource sous deux formats : sous forme d’une carte mentale synthétique et sous forme d’un texte inspiré du Français Facile à Lire et à Comprendre (FALC¹⁴).

Le FALC est une méthode qui a pour but de traduire un langage classique en langage compréhensible par tous. Cela permet de s'adapter aux besoins d’une diversité de personnes comme par exemple les personnes malvoyantes, les personnes présentant des troubles cognitifs, les personnes dyslexiques, mais aussi les étudiants allophones.

Actuellement, après avoir effectué plusieurs itérations, nous souhaiterions avoir un autre regard sur la dernière version numérique de ce module. Pour cela, nous ferons appel à des enseignants, étudiants et ingénieurs pédagogiques de différentes filières de l’université.

3.2. Formalisation d’un guide méthodologique d’accessibilisation d’un cours hybride

Sur la base des différents éléments mis en avant par les phases itératives, nous avons formalisé une démarche d’accessibilisation d’un cours hybride autours de trois aspects principaux : la lisibilité des formats proposés, la fluidité de la navigation et l’explicitation.

La première étape de mise en accessibilité d'un espace de cours en ligne et des ressources qui y sont diffusées que nous identifions est donc de s'assurer de la lisibilité des formats. Il s’agit alors d’interroger le format des documents produits mais aussi la conception de ceux-ci.

La deuxième étape de mise en accessibilité concerne la fluidité de la navigation. Il est primordial de faciliter la navigation et permettre aux étudiants de trouver rapidement ce qu'ils recherchent.

La troisième étape de mise en accessibilité concerne l'explicitation afin de simplifier la gestion de l'information pour tous les étudiants et de les informer efficacement sur les attentes de leurs enseignants.

3.3. Stratégie d’essaimage multiple

Afin d’encourager l’ensemble des enseignants universitaires à accessibiliser numériquement et pédagogiquement leurs enseignements, nous adopterons une stratégie d’essaimage multiple :

3.3.1. À destination des enseignants universitaires de l’Université de Caen Normandie :

• Une formation à l’accessibilité numérique, déjà proposée par le CEMU à destination des enseignants, sera renouvelée tous les semestres.
• Une formation intitulée « Prendre en compte la diversité des étudiants dans ses enseignements : enjeux, tensions et outils » assurée par des enseignantes-chercheuses en sciences de l’éducation et de la formation, sera mise en œuvre à partir de l’année universitaire 2023-2024 avec la volonté d’avoir une fréquence annuelle de cette formation.
• Une page sur le site web du CEMU détaillant notre guide méthodologique est publiée pour une consultation asynchrone s’adaptant aux contraintes de chacun.

3.3.2. À destination des ingénieurs pédagogiques de l’Université de Caen Normandie :

• Une formation de deux journées sera proposée aux ingénieurs pédagogiques afin de les former à accompagner de manière personnalisée chaque enseignant selon sa discipline et son contexte à la prise en compte de la diversité des étudiants dans ses enseignements. Ces formations auront pour objectif principal d’appréhender la diversité des besoins des étudiants dans les enseignements et d’accessibiliser des situations d’apprentissage et d’évaluation.

Conclusion

Ce travail ne peut prétendre être exhaustif ni complet car la démarche d’accessibiliser numériquement des contenus est une démarche itérative et continue et pour atteindre une conformité maximale, il faudrait des testeurs avec des profils encore plus diversifiés. Mais ce travail a vocation à être poursuivi par notre équipe.

Pour conclure, nous nous sommes engagées dans une démarche qui se propose d’associer les apports de la recherche sur l’éducation inclusive aux cadres techniques de l’accessibilité numérique (WCAG et RGAA). Les travaux menés en sciences de l’éducation et de la formation nous ont servi de cadre théorique sur la base duquel nous avons mis en œuvre notre travail de conception pédagogique. Pour l’accessibilisation numérique, nous avons extrait à partir du RGAA, les règles pratiques qui étaient indispensables à la mise en accessibilité numérique des ressources développées par les enseignants. Nous nous sommes ensuite intéressées aux lignes directrices de la CUA car nous avons constaté la forte corrélation entre les moyens de représentation, d’engagement, d’action, d’expression et une navigation fluide dans un environnement numérique avec une appropriation intuitive des ressources numériques qui y sont présentes. Notre démarche, appuyée par l’INSPÉ Normandie Caen, le service d’appui à la pédagogie CEMU, le projet NCU Réussites Plurielles et le projet 100 % IDT est une opportunité pour promouvoir une méthodologie formalisée afin de favoriser l’accessibilisation des enseignements au sein de l’Université de Caen Normandie ainsi que dans le cadre des projets engagés dans ce travail.

Dans une perspective à moyen terme, le module de formation sera évalué sur la base d’indicateurs fondés sur les trois lignes directrices de la conception universelle des apprentissages par l’équipe enseignante en collaboration avec les ingénieures pédagogiques, afin de tendre vers une pédagogie universelle.