Quelques techniques pour aimer enseigner en amphi et en distanciel synchrone
Introduction1
Les plus anciens d'entre nous ont connu l'époque où le Professeur dispensait son cours dans un amphithéâtre dans lequel seuls les grattements de stylos venaient concurrencer la voix de l'orateur... pendant que son assistant (ancienne appellation des maîtres de conférences) attendait le moment opportun pour effacer le tableau. Cette voix pouvant être captivante ou soporifique, l'étudiant sortait avec un cours qu'il devait apprendre dans la perspective de l'examen.
Les temps ont changé. Nous n'avons plus la liberté d'être approximatifs devant notre auditoire ni d'arriver « un peu fatigué » à un cours que nous nous apprêtons à réciter. Chaque cours devient une performance (au sens artistique) durant laquelle nous devons captiver nos étudiants. Si l'on échoue, la sanction est immédiate : bâillements, bavardages parasites, un amphi qui se vide... À l'inverse, la réussite se traduit par des questions dépassant le programme prévu, voire des compliments ou des remerciements. Les temps ont changé au point que certains enseignants cherchent parfois à remplacer ce type d'enseignement par des enseignements s'adressant à des effectifs plus faibles (travaux dirigés, cours intégrés...), au grand dam de nos administrations focalisées sur le coût que cela implique.
Avec la pandémie de 2020, l'enseignement en distanciel s'est temporairement imposé, un type d'enseignement qui a convaincu certains enseignants mais qui a surtout fait des détracteurs.
Face au constat que certains enseignants tentent d'éviter les cours adressés aux grands effectifs ou en distanciel synchrone, méthodes d'enseignement qui sont parfois impossibles à remplacer, nous tentons de répondre à la question suivante : comment faire aimer l'enseignement en amphi ou en distanciel synchrone ?
Nous tentons dans cet article d’investiguer les points facilitateurs à l’implication des étudiants dans le cours et au maintien de leurs motivation et attention en nous basant sur les travaux de Nuttin (1980) pour la motivation et en nous inspirant de ceux de Lebrun (2004) pour l'attention.
1. Recherche des raisons de la désaffection
Une analogie majeure entre l'enseignement aux grands effectifs et le distanciel synchrone semble être la possibilité qu'ont les étudiants de se réfugier derrière l'anonymat. Dans ces situations, l'étudiant n'est pas personnellement observé, contrairement à un enseignement en présentiel et petits effectifs dans lequel l'enseignant connait parfois chaque étudiant par son nom. Ce comportement, qui peut être simplement lié à l'expression d'une timidité naturelle et normale, permet à l'étudiant de relâcher temporairement son attention. Si le maintien ininterrompu d'une concentration maximale pendant plusieurs dizaines de minutes est difficile ou impossible, ces courtes périodes de relâchement de l'attention risquent, si elles se produisent à un moment inopportun, de provoquer un « micro-décrochage », c'est-à-dire que l'étudiant continuera à écouter et prendre ses notes sans vraiment comprendre ce qu'il entend. Ce micro-décrochage impliquera un travail personnel supplémentaire une fois la séance terminée, afin de réintégrer la partie manquée dans le corpus de connaissances à acquérir. Ces micro-décrochages risquent, s'ils se cumulent, de contribuer à un décrochage plus général sur le plan de l'unité d'enseignement. Il est donc intéressant d'en réduire la fréquence.
Pendant des séances en groupes restreints en présentiel, l'enseignant reste en contact avec chacun de ses étudiants et participe à la dynamique de son groupe. Il perçoit ainsi les relâchements d'attention collectifs ou individuels, et a donc la capacité à remédier « en direct » aux micro-décrochages.
Lors d'enseignements en grands effectifs ou en distanciel synchrone, l'enseignant ne peut pas s'appuyer sur les expressions non verbales de chaque étudiant (mimiques de visage, gestes, soupirs...) pour évaluer l'attention de chaque membre de son auditoire. En amphithéâtre, il se base surtout sur une impression générale. En distanciel, les possibilités sont encore plus restreintes étant donné que les étudiants n'utilisent généralement pas leur webcam. En amphithéâtre comme en distanciel, dans le meilleur des cas, seul un groupuscule d'étudiants participe spontanément activement et ose poser des questions, répondre aux questions ou allumer sa webcam. Hélas, si ce groupuscule aide l'enseignant dans la conduite de son cours, le comportement de ce groupuscule risque de masquer les micro-décrochages déjà peu visibles.
La remédiation « en direct » à ces micro-décrochages est donc a priori impossible.
L'idée que nous proposons est que ces deux modes d'enseignement doivent être conçus de manière à créer une dynamique de l'attention des étudiants, l'uniformiser dans l'auditoire, et la contrôler durant la séance afin que ce maintien de l'attention reste bio- ou psycho-compatible et viser ainsi le « zéro décrocheurs ».
Selon nous, les raisons de la désaffection semblent liées i) au manque d'interactions humaines qui peut caractériser ces deux types d'enseignements, pouvant entrainer un manque de contrôle de l'attention de l'auditoire par l'enseignant, et ii) à une baisse de motivation des étudiants qui se réfugient derrière l'anonymat. Ces deux facteurs pourraient converger vers des micro-décrochages sur certains points du cours qui seraient à l'origine de décrochages plus importants. Comment aimer enseigner dans ces conditions ?
Le but de cet article est de partager quelques techniques qui contribuent à remédier à ces difficultés. Nous espérons que ces techniques permettront, non seulement de faire aimer l'enseignement en distanciel ou aux grands effectifs aux enseignants et aux étudiants, mais également de les rendre plus efficaces en terme transmission des savoirs et savoir-faire. Ces techniques sont résumées dans la table 1 et expliquées graduellement avec exemple à l’appui après la présentation des deux leviers d'action que sont la motivation et l'attention.
2. Quelques hypothèses et arguments théoriques nous permettant de créer des outils
2.1. Théories de la motivation
Bien qu'ancienne, la théorie de la motivation de Nuttin, initialement formulée en 1980, est facile à comprendre et à utiliser. Schématiquement, elle divise la motivation humaine en deux types. Les motivations intrinsèques sont des motivations dirigées vers un objet intrinsèque à l'acte : manger parce que l'on a faim (réduction d'un désagrément), manger par gourmandise (procuration de plaisir), faire des recherches sur un sujet qui nous passionne (satisfaction de la curiosité), activités qui donnent une impression de compétence ou d'auto-détermination... Les motivations extrinsèques sont celles pour lesquelles l'objet-but n'est pas l'objet propre de l'activité déployée pour l'atteindre. Il s'agit souvent d'une motivation instrumentale. Nuttin prend pour exemple l'étude d'une science pour obtenir un diplôme et non par intérêt pour la matière, ou la participation à une réception parce que l'acte de présence sera bénéfique pour l'obtention d'une promotion.
Le conflit que certains peuvent ressentir entre l'envie de manger un plat que l'on aime, fumer une cigarette (motivations intrinsèques de recherche du plaisir), et « résister à la tentation » (motivation extrinsèque pour, à long terme, éviter de prendre du poids ou d'être victime de maladies) illustre i) le fait que des motivations peuvent s'opposer et ii) que l'effort pour répondre à une motivation intrinsèque est généralement inférieur à celui que l'on doit mobiliser pour une motivation extrinsèque.
La stratégie pour utiliser ces connaissances dans nos enseignements consiste à créer chez nos étudiants, si possible des motivations intrinsèques, soit par la création de situations dans lesquelles la matière enseignée est intrinsèquement motivantes, soit en utilisant la gamification qui permet de créer une motivation intrinsèque à gagner à un jeu, l'apprentissage de la matière enseignée étant alors un corollaire au succès dans le jeu.
Nous pouvons également viser à créer des motivations extrinsèques telles que la démonstration de l'utilité des points enseignés dans la vie professionnelle future de nos étudiants.
Une caractéristique des grands effectifs est que la variété initiale des types de motivations des étudiants est forcément plus importante qu'en petits groupes. La multiplication et la combinaison des sources de motivation permettront donc d'augmenter les chances de motiver plus d'étudiants, voire d'augmenter la motivation de ceux qui n'auraient pas eu besoin de cet effort pédagogique.
2.2. Gérer l'attention
Considérant qu'il est impossible de garder une attention soutenue des étudiants pendant toute une séance de cours, la question est de trouver des méthodes pour que les moments cruciaux du cours (que ce soit pour leur importance pour la compréhension ou pour leur complexité) bénéficient d'un fort niveau d'attention.
Les théories de l'attention, qu'elles soient psychologiques ou neurobiologiques, se sont surtout attachées à décrire les types d'attention (attention sélective, spatiale, relation attention-mémoire...). Paradoxalement, les rythmes et la dynamique du processus semblent avoir été peu étudiés (Bradbury, 2016). Il est donc plus difficile de dériver des applications pour la pédagogie de ces théories qu'il ne l'a été pour la motivation, car c'est précisément cette connaissance de la dynamique du processus qui serait utile dans notre quête. Nous nous basons donc essentiellement sur notre expérience d'enseignement ou nos connaissances intuitives pour atteindre notre but.
Nous partons du principe que l'attention fluctue pendant une séance et que nous pouvons aider nos étudiants à relâcher leur attention à certains moments pour mieux se concentrer sur d'autres, d'une part en organisant les séances de manière la plus compatible possible avec les fluctuations attentionnelles (en évitant une demande ininterrompue de mobilisation attentionnelle pendant toute une séance), et d'autre part en les aidant dans la gestion de leur attention.
3. Préparation et planification des séances
3.1. Outils pour favoriser la motivation
Contrôles continus intégraux (CCI). Lorsque cela est possible, nous préférons les CCI aux examens terminaux. Un CCI (tel que défini par Gauer et al., 2019) consiste à supprimer les épreuves terminales au profit d'une série d'exercices notés répartis tout au long du semestre et qui ont lieu en présentiel ou en distanciel. Après chaque exercice, la note obtenue ainsi qu'un corrigé type sont donnés aux étudiants, ce qui leur permet de situer leur niveau et la quantité d'efforts à fournir pour obtenir l'examen. La multiplicité des exercices est considérée comme un droit à la « deuxième chance » opérationnalisé par la 2ème session en examen traditionnel. Étant donné que ces exercices sont répartis au cours du semestre, ils créent une motivation extrinsèque continue, un type de motivation qui pour certains étudiants, ne s'exprime que dans les jours précédant l'épreuve lors d'examens classiques. Ce mode de fonctionnement implique cependant que l'enseignant soit disponible pour effectuer des corrections de copies dans des laps de temps souvent courts.
3.2. Outils pour favoriser la gestion de l'attention
Plans de cours avant les cours. Nous diffusons le plan de la séance qui va avoir lieu par l'espace numérique de travail sur un fichier de traitement de texte (.docx, .rtf...). Les étudiants peuvent ainsi connaître en avance les thèmes abordés pendant la séance, se situer dans le décours de celle-ci, et savoir s'ils se situent dans une période nécessitant de la compréhension (impliquant un effort attentionnel) ou plus descriptif, pouvant se limiter à une prise de notes. Ce procédé semble donc aider à la gestion de l'attention. Il permet aussi à certains de prendre les notes directement sur ce document.
Mise au ban de la présentation PowerPoint traditionnelle. Nous suggérons d'éviter l'utilisation de présentations « PowerPoint » extrêmement cadrées telles que celles de sessions de colloques. Bien que confortable pour l'intervenant qui peut se contenter de « réciter » son cours, nous réservons le support PowerPoint pour les schémas, figures, photos que nous préférons commenter en direct. Ce procédé permet de garder contact avec l'auditoire, de saisir les variations d'attention, les réactions des étudiants. La souplesse ainsi obtenue permet, pendant la séance, de s'adapter à ces réactions et donc de maintenir l'attention.
Un rythme bio- ou psycho-compatible. Lors de la préparation des cours, nous intercalons les périodes où la concentration est nécessaire (compréhension de processus ou de concepts complexes) avec les moments où elle l'est moins (énumérations, descriptions...). De même, nous tentons d'intercaler les moments durant lesquels les étudiants doivent être réceptifs (explications) avec ceux durant lesquels ils sont plus actifs (exercices, tâches, votes...). Nous faisons en sorte d'identifier explicitement ces moments avant la séance afin d'indiquer le début et la fin des moments où une attention soutenue est nécessaire. Ces moments peuvent être directement indiqués par une signalétique particulière sur le plan disponible avant le cours. Évidemment, dans le cas d'une indication « en direct », il ne faut pas oublier d'indiquer la fin de ces moments, sans quoi les étudiants ont la sensation de devoir se concentrer en permanence.
Numérotation des documents projetés. Que ce soit en présentiel ou en distanciel, nous numérotons les diapositives et indiquons systématiquement le numéro de la dernière diapositive de la séance. Ce procédé semble aider les étudiants à se situer dans la séance par rapport au sujet traité et à gérer leur attention.
Vidéos en mode « YouTube Première ». Cette approche, que nous utilisons uniquement en distanciel consiste à préparer une vidéo durant de 10 à 30 minutes et présentant une partie du cours. Cette vidéo est stockée sur YouTube et programmée pour démarrer à une heure donnée, par exemple 5 minutes après le début de la séance. Les étudiants visionnent la vidéo en même temps que l'intervenant qui a produit la vidéo. Parallèlement, les étudiants posent des questions ou discutent par le tchat de YouTube. De façon intéressante, la mise en scène (compte à rebours avant le début de la première diffusion de la vidéo) donne un aspect évènementiel à la séance. Nous ne pensons pas que la répétition de cette expérience plusieurs fois lors d'une séquence de cours soit judicieuse. En revanche, son utilisation une fois en début de séquence provoque l'enthousiasme des étudiants. La proportion des étudiants qui interagissent avec l'enseignant est largement supérieure à celle observée spontanément en amphi ou en distanciel, probablement en raison de l'anonymat possible dans le tchat. Enfin, un des aspects les plus intéressants, est que cette possibilité de poser des questions et d'interagir avec l'intervenant se prolonge sur les séances suivantes menées en mode plus classique. Notons qu'il est possible de laisser la vidéo sur YouTube, ce qui permet aux étudiants qui le souhaitent de la revoir.
Mise au ban du comodal. Nous appelons comodal, la pratique consistant à donner un cours en présentiel pour une partie des étudiants tout en étant filmé et diffusé en distanciel synchrone pour d'autres (Beaumatin & Roiné, 2023). Le problème de cette méthode est que l'intervenant peut difficilement interagir simultanément avec la cohorte présente et avec celle à distance. Un deuxième problème est que l'attitude de l'intervenant est généralement différente en fonction du mode d'enseignement. La conséquence est souvent la sensation de « perdre » une des deux cohortes.
Rôle de porte-parole. Une des techniques permettant de composer avec les deux publics est d’affecter à un étudiant le rôle de porte-parole. Cet étudiant s’investit dans le suivi des questions sur le tchat et ponctue l’avancement par un échange avec l’audience en distanciel
3.3. Outils pour favoriser la motivation et la gestion de l'attention
Capsules/QCM. Les capsules vidéo sont des séquences vidéo très courtes (environ 4 à 6 minutes) présentant chacune un concept. Nous créons ces capsules et les mettons à dispositions des étudiants avant les cours. Elles présentent généralement un concept qui va être abordé au cours à venir. Avant chaque séance, les étudiants doivent visionner 0, 1 ou 2 capsules. À chaque capsule est associé un QCM de 5 ou 6 questions. Les étudiants disposent du QCM avant de visionner la capsule. Les réponses à ce QCM, que les étudiants doivent obligatoirement valider, sont toutes données dans la capsule associée. Le QCM force donc les étudiants à regarder la capsule attentivement afin d'y trouver les réponses. Il en résulte que lors de la séance qui suit, durant laquelle le concept est abordé, les cours sont beaucoup plus interactifs : les étudiants ayant déjà eu un premier contact avec le sujet vérifient et complètent ce qu'ils ont vu dans la capsule. Ces capsules peuvent être revisionnées si besoin par la suite et permettent donc un apprentissage à un rythme personnalisé.
4. Première séance
Première séance en présentiel. Dans la mesure du possible, nous cherchons à ce que la première séance d'un cycle de cours se déroule en présentiel, ce qui permet de créer un lien physique, une relation humaine, afin de démystifier l'enseignant.
4.1. Outils pour favoriser la motivation
Démontrer l'intérêt de l'enseignement. En tout début d'enseignement, afin de stimuler une motivation intrinsèque, l'utilité du contenu de l'enseignement est démontrée par des mini-problèmes ou situations, souvent liés à la pratique professionnelle envisagée. Ces problèmes ou situations ne peuvent être résolus que grâce à une maitrise du contenu de l'enseignement.
4.2. Outils pour favoriser la motivation et la gestion de l'attention
Rendre les objectifs pédagogiques explicites. Tant pour créer une motivation intrinsèque que pour permettre une meilleure gestion de l'attention, les objectifs pédagogiques sont clairement donnés aux étudiants. De plus, ils disposent d'une fiche d'auto-évaluation qui va leur permettre, au fil des séances, de se situer par rapport à l'atteinte de ces objectifs. Par exemple, s'ils savent qu'ils doivent maitriser l'utilisation d'un test statistique de Student, ils savent s'ils sont capables de le mettre en œuvre, de l'interpréter, d'en rédiger les résultats, ... ou s'ils n'en ont encore jamais entendu parler.
4.3. Outils pour favoriser la motivation de l'enseignant en distanciel
Une des difficultés pour l'enseignant en distanciel est la sensation de parler seul lorsque aucune webcam d'étudiant ne fonctionne, étant donné que déontologiquement, on ne peut que les inciter à les allumer.
Présentation de l'écran enseignant. Montrer aux étudiants l'écran que voit l'enseignant pendant qu'il fait son cours permet de faire comprendre aux étudiants le ressenti d'un intervenant qui ne s'adresse qu'à sa caméra
Avatars significatifs. Cette pratique permet aussi à l'enseignant de demander à ses étudiants de mettre des photos d'eux comme avatar plutôt que de ne laisser que le nom, les initiales ou une photo de paysage
5. Déroulement d'une séance
5.1. Outils pour favoriser la motivation
Plan modulable. Durant et entre les séances, nous utilisons un plan modulable. Un plan classique est proposé en début de séquence. En fonction des questions et des interactions avec les étudiants, ce plan peut être modulé : l'ordre de présentation des différents concepts peut être changé. Cette pratique est supposée donner aux étudiants un sentiment d'autodétermination et donc, augmenter leur motivation. De plus, ces changements d'année en année permettent de rafraichir le cours et évitent à l'enseignant de tomber dans une routine.
Convivialité. Dans la mesure du possible, nous tentons de rendre les cours les plus conviviaux possible. Cela se traduit par une stimulation des interactions avec les étudiants (questions adressées à l'auditoire, exploitation publique de ses plaisanteries...).
Complicités avec les étudiants. L'avantage des grands effectifs, est l'assurance d'être en présence d'une grande diversité d'intérêts dans l'assistance. Il est pratique de créer des complicités avec des étudiants. Par exemple, si vous pratiquez un sport ou une activité extra-universitaire avec laquelle votre cours présente quelques analogies, n'hésitez pas à demander : « qui pratique telle activité ? ». Vous pourrez par la suite prendre ces étudiants à témoin lorsque vous présenterez l'analogie avec ce que vous enseignez.
Gamification. Proposez un exercice d'application à vos étudiants : la plupart tenteront de le faire. Mais si vous divisez l'amphi en trois équipes, la première équipe à résoudre l'exercice marquant un point et les points étant cumulés tout au long de la séquence de cours, une émulation apparaît pour remporter la victoire car une motivation interne a été créée. La possibilité de créer un nom pour son équipe est appréciée par les élèves.
5.2. Outils pour favoriser la gestion de l'attention
Moments de concentration. Puisque lors de la préparation des cours, nous avons identifié les moments où une concentration soutenue était nécessaire, nous indiquons aux étudiants quand nous entrons dans un de ces moments, et surtout, nous leur indiquons quand ils peuvent relâcher leur attention. Paradoxalement, peut-être car les étudiants se sentent respectés, les relâchements d'attention ne sont pas démesurés alors que les moments de concentration sont facilités. Les étudiants comprennent alors que l'identification de ces moments est une chose sérieuse et se prennent au jeu très rapidement pour les fois suivantes.
Réactivation de l'attention par des activités. Si la technique précédente permet de produire un effort de concentration à un moment crucial, mettre les étudiants en situation d'activité (exercices, sondages...) permet un contrôle implicite de l'attention. Les sondages, que ce soit à main levée, par Wooclap, Zoom, ou par boitiers de votes permettent un relâchement temporaire de l'effort attentionnel en même temps qu'une implication active des étudiants, cocktail qui entraîne une remobilisation automatique de l'attention des étudiants lorsque le cours « normal » reprend. Les exercices, permettent de faire varier le type d'attention, et la mise en activité des étudiants aide à les réimpliquer dans le fil de la séance. Ils entrainent également une remobilisation de l'attention d'écoute lorsque le cours reprend.
Plaisanteries. Plaisanter permet à la fois d'introduire de la convivialité en cours et de faire relâcher l'attention des étudiants pour mieux la mobiliser un peu plus tard. Attention cependant à vérifier que son humour est compris par les étudiants. Si ce n'est pas le cas, il est toujours possible d'exploiter les plaisanteries du public. Timides au départ, nous nous efforçons de les valoriser en les répétant afin que tout le monde entende. En plus de détendre l'ambiance, les étudiants se sentent alors écoutés.
5.3. Outils pour favoriser la motivation et la gestion de l'attention
Votes et sondages. Comme nous l'avons vu, les votes à main levée, sondages... sont un moyen de faire participer les étudiants activement au cours. Ils permettent un contrôle de leur attention mais sont aussi un facteur de motivation.
Pratique des exercices individuels en amphi. Lorsque nous demandons aux étudiants de réaliser des exercices en amphi ou en distanciel, i) nous ne sommes jamais sûrs qu'ils fassent l'effort de les faire et ii) il est très difficile d'obtenir une proposition de réponse spontanée. Nous proposons de demander de faire l'exercice individuellement par écrit, puis d'échanger sa copie avec son voisin. Nous demandons deux nombres à un étudiant, qui définissent respectivement la rangée et la place de l'étudiants qui sera interrogé. L'étudiant désigné doit alors lire la copie de son voisin et la commenter, corriger... Très rapidement, l'auteur de la copie prend la parole pour justifier ses réponses. Le côté quelque peu pervers du procédé dédramatise vite la situation, et une dynamique se lance très rapidement : les étudiants préfèrent finalement répondre directement. Bien évidemment, les critiques des réponses de la part de l'enseignant sont toujours bienveillantes, soulignant les aspects positifs et montrant les solutions plutôt que les critiques de la réponse.
Pratique des exercices individuels en distanciel. En distanciel, l'aspect aléatoire peut être reproduit en interrogeant les étudiants par les noms qui s'affichent sur les vignettes.
Pour ces deux pratiques, les étudiants comprennent vite que le sort peut les désigner, et se mettent à faire les exercices beaucoup plus automatiquement.
Pratique des exercices en équipes en amphi. Un autre moyen d'introduire de la gamification dans un amphi consiste à diviser l'amphi en trois, proposer de faire l'exercice, puis de dire quelle partie de l'amphi a trouvé la solution le plus vite, ou alors d'estimer la proportion d'étudiants qui a réussi dans chaque groupe... Ces compétitions permettent une émulation entre étudiants, et entraîne une plus forte participation.
Mise en compétition en distanciel. En distanciel, la mise en compétition est plus difficile. Nous pouvons utiliser les salles virtuelles, mais étant donnée la perte de temps associée à leur utilisation, nous les utiliserons plus rarement et sur des exercices plus longs (10 à 15 minutes alors que des exercices de 2 à 5 minutes seront proposés en amphi).
6. Généralisations
Dans cet article, nous avons partagé les « clés » (techniques, « trucs » ...) que nous utilisons en amphi ou en distanciel, afin d'atteindre nos objectifs : transmettre des savoirs et des savoir-faire en réduisant ou en facilitant le travail personnel des étudiants. Le corolaire de cette pratique est qu'elle nous permet d'apprécier ces types d'enseignement en leur reconnaissant des intérêts pédagogiques spécifiques et de prendre un réel plaisir à pratiquer ces types d'enseignement. L'idéal serait de pouvoir construire des enseignements hybrides, au sens de Beaumatin et Roiné (2023), dosant et combinant judicieusement différentes formes de pratiques en fonction de la discipline, du contenu à enseigner, du public, de la personnalité et des objectifs pédagogiques des enseignants.
Avec un peu de recul, il semble qu'un point commun à ces techniques est qu'elles nécessitent la création d’une interaction entre enseignants et étudiants, même dans ces conditions particulières. Cette interaction est généralement une source de plaisir pour l'enseignant et pour l'étudiant. Si les étudiants apprécient des enseignements, l'enseignant le perçoit par le travail fourni par les étudiants, quand ce ne sont pas les étudiants eux-mêmes qui expriment leur satisfaction ou leur gratitude directement à l'enseignant. Là aussi, nous trouvons une source de plaisir.
Nous avons noté dans notre pratique, que les étudiants sont très sensibles aux efforts pédagogiques de leurs enseignants. L'interaction créée par ces techniques engendre une relation différente avec nos étudiants, ce qui facilite les feedbacks explicites ou implicites, à propos des enseignements. Spontanément, nos étudiants percevant les efforts d'amélioration, font vite part de leur ressenti, des points qu'ils pensent pouvoir être améliorés. Ce corolaire auquel nous ne nous attendions pas montre qu'avec cette approche, l'étudiant devient acteur dans sa formation : même si l'enseignant reste maître d'œuvre des transformations pédagogiques, les étudiants contribuent spontanément à son effort, comprenant que celui-ci est mené pour son intérêt et que son feed-back est nécessaire. Enfin, les étudiants deviennent également très vite indulgents à propos des « ratés ». On ne peut pas tout réussir du premier coup. Les étudiants le savent, et sentant les efforts effectués pour eux, ils donnent leur ressenti de façon qualitative et constructive... certains s'excusant même de faire des suggestions !
Un deuxième point caractérisant plusieurs de ces techniques, est qu'une des difficultés à créer un cours efficace est que des moments de « détente » doivent être ménagés régulièrement et judicieusement dans chaque séance. La détente dont il est question ici doit être prise comme un relâchement de la « tension » liée à l'attention plutôt que comme un divertissement.
En début de carrière, nous comprenons vite qu'il est inutile de demander de se taire, d'écouter, de se concentrer... ce qui est rapidement inefficace voir contre-productif. Paradoxalement, provoquer une démobilisation de l'attention à certains moments, facilite la mobilisation de l'attention lorsque cela est nécessaire. Les étudiants acceptent de faire l'effort d'une attention soutenue pendant une durée importante, beaucoup plus facilement s'ils perçoivent notre attachement à leur ménager ces intermèdes de détente. Ils comprennent alors, au moment où nous leurs demandons de fournir l'effort, que ce moment est crucial pour leur réussite.
6.1. Coordonner cours en amphi, distanciel et TD/TP
Une fois cette mutation amorcée, les enseignants se rendent vite compte que des cours en amphi ou en distanciel présentent des avantages respectifs que nous ne trouvons pas en séances de travaux dirigés (les séances de TD et TP présentent d'autres avantages). Par exemple, le cours adressé à de grands effectifs (présentiel ou distanciel) permet des sondages d'opinions, des recueils d'avis... beaucoup plus intéressants que s'ils sont effectués sur des classes de 20 ou 40. De son côté, le distanciel permet une approche moins formelle, et dès que l'on dépasse les premières aversions, l'enseignant prend vite conscience que ce type d'enseignement donne des possibilités que l'on n'a pas en présentiel. La question est alors de savoir comment coordonner et organiser les séances. Dans l'idéal, l'enseignant commencerait sa série de séances par une séance en amphi permettant l'introduction du cours de façon homogène à l'ensemble de la promo. Pour la suite, il définirait en fonction du contenu et des besoins prévus et selon le plan envisagé, quelle doit être la nature de chaque séance : amphi, distanciel, TD, TP...
Dans la pratique, malgré les incitations institutionnelles à faire des cours à de gros effectifs (moins onéreux), ou en distanciel (facilitant la gestion de salles), créer des enseignements en distanciel pose le problème de la coordination avec les enseignements prévus en présentiel (nécessité de mobilité entre campus et domicile). La possibilité d'introduire des séances d'enseignement en distanciel est alors réduite et nécessiterait 1) une concertation entre enseignants afin de déterminer le nombre de séances en distanciel souhaitées par les enseignants et leur position approximative dans le semestre, puis 2) une modification des emplois du temps permettant de regrouper les enseignements à distance sur des demi-journées. C'est donc d'une volonté politique que dépend la possibilité d'exploiter les bénéfices de l'enseignement en distanciel synchrone.
6.2. Comment innover en pédagogie sans être psychologue ?
Nous venons de proposer un certain nombre de techniques basées sur une utilisation de la théorie de la motivation de Nuttin ce qui nécessitait certaines connaissances en psychologie. À l'inverse, celles basées sur la gestion de l'attention s'appuyaient sur l'intuition et non sur des connaissances académiques. Comme le note Forsyth (2003), les enseignants en psychologie ont un mode d'enseignement probablement influencé par leur spécialité. Cependant, l'innovation pédagogique peut également être pratiquée par les enseignants d'autres disciplines, les connaissances en psychologie cognitive ne sont pas une nécessité. En tant qu'enseignant, nous cherchons à améliorer notre pratique. Nous pouvons donc nous baser sur celle-ci et sur notre intuition pour inventer et tester de nouvelles techniques pour les abandonner si nous n'en sommes pas satisfaits ou les conserver, voir les améliorer, auquel cas on parlera de transformation pédagogique. La table 2 résume les risques encourus et les leviers actionnés proposés dans cet article.
6.3. Comment valoriser cette activité ?
Un enseignant-chercheur est censé partager son activité entre enseignement, recherche, et tâches administratives. Or l'innovation et la transformation pédagogiques prennent du temps. La principale récompense de cet investissement est clairement le retour obtenu de la part des étudiants, le fait de faire aimer une discipline, et le plaisir du travail bien fait lorsqu'au bout de quelques années d'efforts le niveau des examens doit être relevé pour que ceux-ci puissent garder une fonction d'évaluation de niveau. Au-delà de ces satisfactions, il est important de valoriser cette activité par des publications qui démontreront, au moment opportun, le temps et l'énergie passés à faire progresser la qualité des enseignements. Par ailleurs, les enseignants-chercheurs primo-entrants dans la profession se retrouvent souvent démunis. Disposer d’éléments de retours d’expérience facilitant l’appropriation des méthodes innovantes leur permettrait de participer à l’effort d’amélioration global de la pédagogie universitaire.
La principale difficulté à cette activité de publication est que nous menons nos innovations pédagogiques progressivement, par essai et erreur, sur plusieurs années, et parfois par intuition. En d'autres termes, il devient très difficile d'effectuer une comparaison « expérimentale », entre la méthode pédagogique initiale et la méthode pédagogique après transformation, sachant en plus qu'une fois la démarche engagée, nous tentons en permanence d'améliorer nos pratiques. Toujours est-il, qu'en tant qu’enseignants, après avoir expérimenté plusieurs options et essuyé quelques échecs, il devient intéressant lorsque le ressenti est plutôt positif de pouvoir communiquer sur le sujet et le confronter aux avis d’autres enseignants afin d’extraire les bonnes pratiques à retenir. C’est ce que nous avons tenté de faire dans cet article pour la gestion des cours en distanciel et à gros effectif, tout en gardant à l’esprit les deux notions majeures que sont la motivation et l’attention qui nous ont servies de fil conducteur.
Notes
- 1. Nous remercions la MAPI Nous remercions la MAPI (Mission d'Appui à la Pédagogie et à l'Innovation, université de Bordeaux), pour l'organisation des « Cafés pédagogiques » (discussions en ligne dédiées à l'amélioration pédagogique), ainsi que les participants à ces réunions. Cet article est issu de celui que nous avons animé le 2 mai 2023 : « Pédagogies pour grands effectifs ».
- 2. Idée proposée par F. Pereyrol, enseignant à l'IUT de Bordeaux, lors du Café pédagogique du 2 mai 2023.
- 3. Idée proposée par D. Canzian, enseignante à l'université de Bordeaux, lors du Café pédagogique du 2 mai 2023.
- 4. Idée proposée par C. Madrid, enseignante à l'IUT de Bordeaux, lors du Café pédagogique du 2 mai 2023.
Références
- Beaumatin, L., & Roiné, C. (2023). L’hybridation des enseignements à l’université – points de définitions.
- Bradbury, N. A. (2016). Attention span during lectures: 8 seconds, 10 minutes, or more?
- Forsyth, D. R. (2003). The Professor's Guide to Teaching. Psychological Principles and Practices. APA, Washington, DC.
- Gauer, F., Le Dantec, B., Fayolle, A., Bisson, J., & Scholastique, E. (2019). Stratégie de mise en place du contrôle continu intégral. EDUCAHTON, Réforme de la licence. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/content_migration/document/equipe20_1087315.pdf
- Lebrun, M. (2004). La formation des enseignants aux TIC : allier pédagogie et innovation.
- Nuttin, J. (1980). Théorie de la motivation humaine. PUF, Paris.
Résumé
L'objectif principal de cet article est de partager les techniques d'enseignement qui nous permettent de rendre plus captivants et bénéfiques, les cours adressés aux grands effectifs ou ceux effectués en distanciel synchrone. Nous pensons que l'utilisation de ces techniques permettra de mieux apprécier, voir de nous réconcilier avec ces deux modes d'enseignement parfois décriés. Parallèlement, nous indiquons les bases théoriques (pour la motivation) ou expérientielles (pour l'attention) qui nous ont permis de sélectionner ces techniques. Nous espérons que cette démarche permettra aux lecteurs non seulement d'utiliser les techniques présentées, mais également de pouvoir inventer eux-mêmes de nouvelles techniques et les diffuser.
Pièces jointes
Pas de document comlémentaire pour cet articleStatistiques de l'article
Vues: 1179
Téléchargements
PDF: 8
XML: 1