Où va l'enseignement supérieur ?
Publié le 2023-09-04« Où va l’enseignement supérieur ? Enjeux, continuités, rupture », Diversité, n°202
Volume 1 : https://publications-prairial.fr/diversite/index.php?id=3669 ;
Volume 2 : https://publications-prairial.fr/diversite/index.php?id=3946
L’enseignement supérieur — notamment dès qu’il s’agit des conditions d’accès aux études supérieures — et la recherche — notamment un contexte de défiance grandissante à l’égard de la science — sont devenus une préoccupation qui dépasse le seul cercle des acteurs qui y travaillent, enseignent, mènent des recherches. Il suffit de regarder les étals des libraires[1] ou les affiches des cinémas[2] pour se rendre compte que la situation des universités et de l’ESR en général s’impose progressivement comme une question politiquement et socialement vive qui agite le débat public. Et ce numéro de Diversité, revue publiée depuis 2020 par l’ENS de Lyon, s’inscrit parfaitement dans cette actualité, et propose, en deux volumes rassemblant une trentaine de contributions, un diaporama très complet sur les enjeux qui traversent l’enseignement supérieur comme la recherche en sciences humaines et sociales[3].
Créée en 1973, la revue a l’habitude d’aborder des controverses en éducation. Mais c’est la première fois qu’elle décide de se pencher sur le monde de l’ESR, avec l’objectif d’expliciter et analyser les transformations qui le traversent (parties 1 et 2) et leurs impacts sur les formations telles qu’elles se déploient (partie 3) comme sur les parcours des étudiants (partie 4). Car, avec sa généralisation, il est urgent de prendre conscience que l’enseignement supérieur occupe une nouvelle place dans la société. Parce qu’il n’est plus réservé à une élite, et même s’il reste particulièrement fragmenté et segmenté, avec des conditions d’accès plus incertaines et source d’inquiétudes, il est devenu l’horizon commun pour l’ensemble des générations présentes et à venir.
Pour autant, cette ouverture sociale et cet allongement de la durée des études ne doivent pas servir de paravent dissimulant la saturation croissante de certaines formations, des formes de ségrégation sociale des filières, avec comme corollaire la mise en place d’une sélection généralisée dans l’accès à l’enseignement supérieur, quelle que soit la formation demandée. Elle a enfin provoqué ce que le sociologue Mathias Millet[4] nomme dans sa contribution à ce numéro une « division à bas bruit » entre « une jeunesse dorée, tournée vers les grandes écoles et le privé » et une jeunesse « plus composite et hétérogène (par ses trajectoires et ses formations), parfois plus “adulte” parce que de plus en plus souvent confrontée à la nécessité de travailler pour étudier et valoriser ses diplômes, et qui regarde parfois vers l’avenir avec inquiétude »[5].
Chaque volume s’ouvre avec des entretiens qui permettent de poser très largement les problématiques des différentes parties. Ainsi Agnès van Zanten, directrice de recherche au CNRS et membre du comité scientifique de la revue, propose une analyse des dispositifs d’« ouverture sociale » de Science Po — en en montrant les limites — tout en revenant sur les stratégies des familles comme des établissements pour recruter leurs futurs étudiants. Cet entretien est complété par l’article proposé par Mathieu Rossignol-Brunet, Alice Pavie et Marco Oberti qui interrogent les effets du recrutement des étudiants de Science Po via Parcoursup depuis 2020. Le second entretien d’ouverture du volume 1 – avec deux enseignants-chercheurs de l’ENS de Lyon, Emmanuelle Picard, historienne et Julien Barrier, sociologue – dresse le portrait très éclairant d’un ESR en pleine reconfiguration sous l’effet des réformes successives. Le second volume, centré sur les parcours des étudiants, s’ouvre notamment avec un entretien avec le sociologue Paul Pasquali et le cinéaste Régis Sauder : avec En nous (2022), le réalisateur nous propose en effet de retrouver des jeunes issus des quartiers nord de Marseille qu’il avait filmés 10 ans plutôt dans Nous, princesse de Clèves (2011), au moment où ils obtiennent le baccalauréat. Et comme il le rappelle, ce second film « témoigne de l’épreuve du temps qui passe et de la réalité sociale qui valide ou invalide ces rêves et ces désirs formulés dix ans avant ». L’entrée dans les études supérieures et la vie étudiante sont ainsi, comme ce numéro essaie de le montrer, un moment sensible dans le passage de la vie d’élèves adolescents à l’âge adulte.
[1] A titre d’exemples : Mathias Millet et Stéphane Beaud (dir.) (2021) : L’université, pour quoi faire ?, Paris, PUF ou encore Cédric Hugrée et Tristan Poullaouec (2022) : L’université qui vient. Un nouveau régime de sélection scolaire, Paris, Raisons d'agir.
[2] Par exemple, La Voie royale de Frédéric Mermoud, sorti en salle en août 2023 – thématique qui fait écho à l’article de Pierre Bataille de ce numéro de Diversité : « Production, reproduction, voie royale » : https://publications-prairial.fr/diversite/index.php?id=3743
[3] « Où va l’enseignement supérieur ? Enjeux, continuités, rupture », Diversité, n°202, volume 1 : https://publications-prairial.fr/diversite/index.php?id=3669 ; volume 2 : https://publications-prairial.fr/diversite/index.php?id=3946
[4] Et membre du comité scientifique de la revue.
[5] Mathias Millet, « L’enseignement supérieur divise : généralisation des études, différenciation des jeunesses » : https://publications-prairial.fr/diversite/index.php?id=3718